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Studio Galiléa : quand Grenoble était à la pointe du jeu vidéo français
par LFP  |  18.09.2021  |  Article
Qui se souvient de Galiléa ? Disparu en 2005, le studio n'a pas connu la même gloire que les incontournables Cryo, Microïds ou Index+. Il a pourtant laissé derrière lui trois jeux d'aventure très appréciés des amateurs du genre : Loch Ness (2001), Amenophis : La Résurrection (2002) et Jack l'Eventreur : New York 1901 (2004). Sans oublier plusieurs jeux ludo-éducatifs pour la jeunesse : La Boîte à rire (1997), Les Grons (1998), Tom et Lisa (2000), ainsi que l'inclassable Genesys (2000). Signalons également un jeu de stratégie : Pax Romana (2004).



À l'occasion des 20 ans du jeu Loch Ness, nous n'avons pas pu résister à l'envie de contacter les anciens fondateurs du studio pour organiser une interview « retrogaming » sur l'histoire de Galiléa. Guy Parmentier et Philippe Gaudé, cofondateurs du studio, ont accepté de nous répondre, tout comme Claude Richardet, producteur et concepteur de Genesys. On ne vous cachera pas que chacun d'eux a été étonné en voyant surgir dans sa boîte mail une demande d'interview venue d'un autre temps, plus de 15 ans après la fermeture du studio. Mais la surprise semble avoir laissé place à l'enthousiasme à l'idée de se remémorer les souvenirs d'une époque d'autant plus lointaine qu'après la fermeture de Galiléa, Guy Parmentier et Philippe Gaudé ont chacun suivi des chemins séparés, à 6.000 kilomètres de distance. Mais revenons au commencement.

Années 90 : l'époque des jeux ludo-éducatifs


À l'origine, le studio est créé en 1996 par Guy Parmentier, Philippe Gaudé, Jean-Paul Prado et Marc Selles. Leur point commun ? S'être rencontrés à l'occasion d'une formation d'ingénieurs chef de projet multimédia à l'Institut National Polytechnique de Grenoble en 1995. Jean-Paul Prado est l'aîné des cofondateurs, initialement diplômé des Beaux Arts de Paris dans les années 1970. À l'issue de cette formation, les quatre amis décident donc de se lancer dans le jeu vidéo, domaine où tout semble alors possible sur le plan créatif. Leur studio s'installe au 12 rue Ampère à Grenoble et adopte le nom « Galiléa Multimédia ». L'aventure peut commencer.


Le 12 rue Ampère à Grenoble, où se situaient les locaux de Galiléa.


Le créneau de Galiléa est d'abord celui des jeux ludo-éducatifs pour la jeunesse. À l'époque, le genre dispose d'un important public constitué de parents cherchant à divertir leurs enfants sur le Windows 95 familial. Le premier jeu du studio, La Boîte à rire, sort en 1997. « La Boîte à rire fait suite à une rencontre du concepteur, Haldun Altan. Nous cherchions un projet décalé pour nous faire connaître » explique Guy Parmentier. La réclame d'époque présente le jeu de la manière suivante : « D'un glissement de souris, vous déclencherez les 1500 rires prêts à exploser à chaque coin de ce Cédérom surréaliste ». Le concept est simple. Il permet à Galiléa de mettre le pied à l'étrier.

Vient ensuite le jeu Les Grons, qui sort en 1998. « Les Grons, c'était une idée de David Berlioz, un graphiste qui habitait à Chambéry » se souvient Guy Parmentier. La boîte du jeu annonce ainsi « une bande dessinée décapante et interactive de Berlioz ». David Berlioz réalise ici son premier projet multimédia et se fera connaître ultérieurement en tant que créateur du personnage de « Plok », qui apparaîtra notamment dans les CD-ROM de Mobiclic.

La collaboration des équipes de Galiléa avec David Berlioz s'avère fructueuse et donne lieu à la création de la série de jeux Tom et Lisa, éditée par Wanadoo en 2000-2001. Les jeux s'adressent aux enfants de 3 à 6 ans et se déclinent en plusieurs CD-ROM centrés sur deux personnages en pâte à modeler qui découvrent les transports, le potager, le marché, le cirque, ou encore les animaux de la ferme.

L'inclassable Genesys (2000)


À la même époque, Cryo Interactive enchaîne les succès dans le domaine des jeux d'aventure historiques « ludo-éducatifs » avec Egypte (1997), Versailles (1997), Chine (1998), ou encore Pompéi (2000). Index+ fait de même avec Croisades (1997) et Vikings (1998). Dans les coulisses, un homme se passionne pour cette nouvelle manière d'aborder la pédagogie : Claude Richardet. Celui-ci a déjà eu plusieurs vies en une : professeur, producteur de films, réalisateur, mais aussi pionnier de la vente de cassettes vidéo en Suisse et passionné par le monde alors naissant du CD-ROM. En 1998 et 1999, il collabore avec le professeur Patrick Mendelssohn, fondateur de l‘unité TECFA de l'université de Genève, et devient ainsi le producteur de deux CD-ROM encyclopédiques dédiés à Voltaire et Jean-Jacques Rousseau, réalisés par Index+. De nos jours, on en trouve encore quelques traces sur le site de l'université de Genève. Toujours avec Patrick Mendelssohn, il participe à la création d'un site web intitulé « La Mémoire du Monde », dont le but est de retracer l'histoire de l'humanité de manière ludique en suivant le personnage d'Arthur, mascotte du site accompagnant l'internaute dans sa navigation. Miracle : ce site existe toujours, consciencieusement hébergé par l'université de Genève. Il s'agit ni plus ni moins de l'ancêtre du jeu Genesys, développé par Galiléa.

Par chance, plus de 20 ans après ces événements, nous avons pu retrouver Claude Richardet et l'interroger sur la création de ce jeu, dont il fut l'initiateur. « Au départ, j'étais parti sur l'idée de créer un film dont le personnage principal aurait été ce fameux Arthur, créé pour le site "La Mémoire du Monde" », explique-t-il. « Dans le film, Arthur serait tombé dans le cyclotron du CERN, et aurait ainsi été propulsé à la préhistoire, puis à d'autres périodes. C'est un film qui aurait dû être réalisé par François Reichenbach, mais finalement ça ne s'est pas fait ». L'intérêt de Claude Richardet pour les CD-ROM culturels permet toutefois de donner une seconde vie au projet. « Comme j'avais déjà travaillé avec Index+, j'en ai parlé à Emmanuel Olivier, qui était le fondateur de ce studio. On a repris l'idée pour en faire, cette fois-ci, un jeu vidéo. Vincent Berlioz, qui faisait également partie de l'équipe d'Index+, a proposé d'en confier la création à Galiléa. Nous sommes donc allés à Grenoble, où j'ai rencontré Guy Parmentier, Philippe Gaudé et Jean-Paul Prado. On s'est très bien entendus ».

Le projet, dont le développement ne tarde pas à démarrer, est initialement conçu comme une encyclopédie interactive. Son contenu repose sur un véritable travail d'historien pour naviguer entre les différentes étapes-clés de l'histoire de l'humanité, de l'âge de pierre à l'ère informatique. « Et puis un jour, Vincent Berlioz est venu me voir et m'a dit que tout ça ce n'était pas sexy, que le format n'était plus dans l'air du temps, qu'il fallait raconter une histoire. Alors ça a fait tilt : l'idée m'est venue de faire appel à Jeanne Moreau pour tourner des séquences narratives complémentaires. Il se trouve que nous partagions une amie commune, Ana Simon, qui nous a mis en relation. Jeanne Moreau n'avait jamais participé à ce type de projet interactif, mais elle a dit que cela l'intéressait, et c'est ainsi que nous avons pu l'intégrer comme narratrice du jeu. »

En 2000 sort ainsi Genesys, œuvre inclassable à tous points de vue. Son style encyclopédique assumé s'accompagne d'une dimension ludique, puisque chaque époque se trouve associée à un jeu éducatif. La narration de Jeanne Moreau, qui apparaît à l'écran sous forme de courtes séquences vidéo de présentation, confère à Genesys un style documentaire. Le jeu est aujourd'hui l'un des témoins les plus intéressants d'un genre révolu, celui du CD-ROM culturel interactif.


De gauche à droite : Jean-Paul Prado (Galiléa), Jeanne Moreau et Claude Richardet lors du tournage de Genesys.

La grande époque des jeux d'aventure


Après la sortie de Genesys, édité par Wanadoo, l'éditeur demande au studio de se tourner vers un autre segment, celui du jeu d'aventure : non plus sous forme de récit éducatif, mais sous forme de fiction. « La série de jeux d'aventure Dracula de Wanadoo marchait bien et l'éditeur voulait produire de nouveaux jeux » explique Philippe Gaudé. « Nous étions nous-mêmes amateurs de jeux d'aventure : je me rappelle encore de l'émerveillement provoqué par Myst quand il est sorti. Nous avons donc travaillé avec Wanadoo pour créer de nouveaux univers ».

C'est ainsi qu'apparaît Loch Ness, qui sort en 2001. À tous les niveaux, Galiléa monte la barre d'un cran. Le jeu reprend le moteur de jeu en 3D précalculée de la série Dracula, qui s'avère être le même que celui de L'Amerzone. Sur le plan scénaristique, le joueur incarne le détective Alan Parker Cameron, revenant en Écosse sur la terre de ses ancêtres pour enquêter au manoir de Devil's Ridge. L'hiver écossais, le suspense de l'enquête, les séquences de game over et une dose de surnaturel viennent créer un excellent cocktail pour les amateurs du genre. Seul bémol : le succès commercial, bien qu'honorable, n'est pas vraiment au rendez-vous.

Lire notre article « Loch Ness (2001) : Les fantômes hantent toujours Devil's Ridge »



Pour autant, les équipes de Wanadoo et Galiléa se lancent dans la création d'une suite : Amenophis, la résurrection (2002). Cette fois, Alan Parker Cameron part enquêter en Égypte dans une ambiance plus ensoleillée et toujours aussi surnaturelle. Mais là encore, le jeu ne permet pas à Galiléa de dégager des profits.

Lire notre article « Amenophis, la résurrection (2002) : La momie bouge-t-elle encore ? »

« Nous faisions un "gros" projet par an, en général d'une durée de 9-10 mois, et la marge bénéficiaire de chaque projet était consommée pour payer les salaires de l'équipe pendant la période creuse entre deux gros projets. Ça n'a jamais permis de générer des fonds propres qui nous auraient permis de financer les projets par nous-même et donc d'avoir des royalties significatives sur les ventes » explique Philippe Gaudé.

Pour tenter de remédier à ce problème, le studio cherche à explorer de nouvelles pistes avec son jeu suivant, Jack l'Eventreur - New York 1901 (2004). Sur le plan technique, Galiléa abandonne le moteur de jeu en 3D précalculée et lui préfère un moteur dans lequel les personnages apparaissent en 3D réelle. Le détective Cameron est également remplacé par James Palmer, un journaliste américain enquêtant sur une série de meurtres qui surviennent à New York, rappelant ceux du célèbre tueur en série de Whitechapel. Le jeu est cette fois-ci édité par Microïds, suite au rachat de Wanadoo Editions en 2003. Il s'agira du dernier jeu d'aventure du studio.



L'aventure canadienne


Malgré ses finances fragiles, Galiléa continuait de s'agrandir au début des années 2000. « L'équipe est montée à 20 employés. On avait aussi une filiale, VirtualActors, qui développait des technologies pour gérer les personnages virtuels dans les jeux, et qui avait 5 employés » se souvient Guy Parmentier.

En 2003, Galiléa va même un cran plus loin et décide d'ouvrir une antenne à Montréal, dont Philippe Gaudé prend la direction. « Nous travaillions de plus en plus avec un éditeur canadien, The Adventure Company, filiale de DreamCatcher. Cet éditeur nous a demandé d'avoir un représentant de Galiléa sur le continent américain pour faciliter les relations commerciales. Du coup, comme il y avait à l'époque beaucoup de subventions pour s'installer à Montréal et un vivier de plus en plus important de compétences, nous avons décidé d'y ouvrir un bureau commercial, avec un peu de production » raconte Guy Parmentier. « Nous avions prévu de transférer le graphisme et l'assemblage du jeu à Montréal et de garder la conception et le développement technologique à Grenoble. Il s'agissait d'augmenter nos marges pour avoir les moyens de changer de plateforme, notamment aller sur la console. Et de profiter du meilleur de chaque territoire, les développeurs et concepteurs à Grenoble, et les graphistes à Montréal ».

« Hélas, c'était déjà trop tard pour Galiléa » déplore Philippe Gaudé. « Les changements du marché avaient mis à mal notre rentabilité fragile et nous avons dû mettre la clé sous la porte avant d'avoir pu développer notre antenne à Montréal. Avec le recul, c'est aussi le moment où la croissance de l'industrie du jeu s'est emballée au Canada et où il est devenu de plus en plus difficile de recruter pour de petites entreprises. Donc peut-être que notre plan n'aurait pas fonctionné. »

Clap de fin


Galiléa n'est pas le seul studio à subir ce triste sort à cette époque. Le secteur du jeu vidéo connaît une véritable hécatombe suite à l'éclatement de la bulle Internet. Galiléa ferme ainsi ses portes en deux temps : d'abord en 2004 pour le studio de Grenoble, puis en 2005 pour l'antenne de Montréal.

« Quand le marché des jeux d'aventure PC a changé pour ne supporter que des jeux à petit budget ou des superproductions comme Syberia, nous nous sommes retrouvés pris entre deux feux : trop chers pour les petits budgets et pas assez gros pour les superproductions » explique Philippe Gaudé. « Sans fonds propres et sans nouvelles commandes des éditeurs, nous n'avons pas eu d'autre choix que de fermer. Nous avons essayé de trouver de nouveaux créneaux mais nous n'avions tout simplement pas la capacité financière, et donc trop peu de temps, pour étendre notre expertise. »

Des propos confirmés par Guy Parmentier : « Le marché du jeu d'aventure et du jeux historique PC a changé à partir de 2001. Les éditeurs cherchaient à réaliser à bas coût dans des studios asiatiques ou en Europe de l'Est. De plus, la parité euro-dollar a joué en notre défaveur avec notre client canadien. Enfin, le studio n'avait pas assez de fonds propres et il n'était pas assez rentable pour en constituer. Nous avons cherché à lever de l'argent, sans succès. Comme nous avions de plus en plus de difficultés à vendre nos projets, nous avons décidé d'arrêter pour éviter l'endettement des actionnaires. »

Le studio laisse derrière lui un projet de jeu abandonné : "Vanguard Project". Philippe Gaudé en garde un souvenir encore précis : « Vanguard Project aurait dû être une uchronie dans l'Amérique de la fin des année 50, où un détective privé aurait découvert une conspiration menée par la CIA et se serait retrouvé pourchassé. L'idée était d'avoir un gameplay plus proche de ce qu'on pouvait voir dans The Nomad Soul, où l'on associe la liberté de déplacement d'un jeu première personne avec une trame d'investigation et un peu d'action. Avec le recul, le projet était probablement trop ambitieux pour nos capacités financières et notre expertise, et nous n'avons pas réussi à convaincre un éditeur de financer ne serait-ce qu'un pilote. »

Chacun part suivre sa route


Suite à l'aventure Galiléa, les deux cofondateurs partent chacun dans des directions différentes. Guy Parmentier abandonne tout de suite le monde du jeu vidéo. « J'ai décidé de changer de vie. J'étais le PDG de Galiéa et les deux dernières années du studio ont été pour moi très éprouvantes. J'ai repris des études en 2004, un master de Management de l'innovation. J'ai décidé pendant ce master de suivre une thèse en Sciences de gestion que j'ai passée en 2009. Orange Labs m'a recruté pendant trois ans pour réaliser une recherche sur l'innovation avec les communautés d'utilisateurs, ce qui était aussi le sujet de ma thèse. Ensuite j'ai été recruté à l'Ecole Supérieure de Commerce de Chambéry en 2008 comme enseignant-chercheur. J'ai intégré l'Institut d'Administration des Entreprises de Grenoble en 2012. Depuis je suis Maître de conférences en Management de la créativité et de l'innovation. »

Philippe Gaudé, directeur du studio de Montréal, a quant à lui continué de travailler un certain temps dans le secteur vidéoludique. « Ça a été dur de clore un chapitre aussi intense que les 8 ans de Galiléa, il m'a fallu du temps pour récupérer. Installé à Montréal, j'ai joint Gameloft en 2005 comme producteur de jeux téléphone : oui, les jeux sur les bons vieux cellulaires d'avant les smartphones ! J'ai ensuite rejoint Behaviour (anciennement Artificial Mind & Movement) en 2006 comme producteur de jeux pour Nintendo DS puis de free-to-play sur Facebook. J'ai finalement rejoint Electronic Arts en 2011 où j'étais producteur exécutif pour une franchise de jeux free-to-play casual sur mobile et tablette. EA a fermé le studio en 2013, et j'ai quitté le monde du jeu pour une nouvelle aventure avec HMH, le plus grand acteur du secteur éducatif américain, où je dirige le studio de Montréal et pilote le développement de composants de notre plateforme éducative numérique. »

Des conférences d'enseignement aux plateformes éducatives, c'est donc finalement un retour aux sources pour les deux cofondateurs de Galiléa, qui avaient débuté leur aventure commune par la création de jeux ludo-éducatifs. À croire que le passé le s'efface pas, et que leur ancien studio continue de vivre au fond d'eux.