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Loch Ness (2001) : les fantômes hantent toujours Devil's Ridge
par LFP  |  18.09.2021  |  Article
Avec Loch Ness, Galiléa réalisait il y a 20 ans son premier jeu d'aventure. Rétrospectivement, celui-ci apparaît comme le plus réussi du studio grâce à son scénario et ses graphismes reproduisant à merveille l'ambiance d'un vieux manoir écossais. Nous avons profité de cet anniversaire pour lui consacrer un article « retrogaming » en compagnie de quatre anciens membres de Galiléa : Guy Parmentier (ancien directeur général), Philippe Gaudé (cofondateur), Xavier Lardy (en charge des effets visuels et de l'animation des personnages) et Clémence Perrin-McCraven, créditée Clémence Jannel à la sortie du jeu (scénario et dialogues).



Pour celles et ceux qui auraient raté dans leur jeunesse la sortie de Loch Ness, il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu. Son synopsis suffit à lui seul à susciter la curiosité : un détective de Chicago, Alan Parker Cameron, revient en Écosse sur la terre de ses ancêtres. Lord McFarley, un ami de famille résidant au bord du Loch Ness, a fait appel à ses services pour résoudre une mystérieuse affaire. Mais lorsque Cameron arrive sur place, la femme du lord apprend au détective que son mari a été enlevé. À charge, pour Cameron, de le retrouver. Si cette introduction vous donne envie d'en savoir plus, le plus simple est sans doute de découvrir le jeu avant de poursuivre la lecture de cet article.

Petit budget, grande aventure


À l'origine du projet se trouve donc, en 2000, un échange entre le studio Galiléa et son éditeur Wanadoo Editions. L'éditeur est alors issu de la fusion entre Index+ et France Télécom Multimédia, deux sociétés bien implantées dans le monde du jeu d'aventure. Avant de ne former qu'une seule entité, celles-ci avaient déjà travaillé ensemble sur Croisades (1997), Vikings (1998) ou encore Dracula (1999), dont elles étaient respectivement en charge du développement et de l'édition. C'est donc assez naturellement qu'en 2000, Wanadoo souhaite se développer sur le segment du jeu d'aventure et incite Galiléa à se tourner vers ce genre jugé porteur. Ni une ni deux, le studio s'y attelle. Wanadoo assume les risques financiers et perçoit également la plupart des recettes. « Le jeu a été financé par Wanadoo Editions » explique Philippe Gaudé. « On avait une part de coproduction » souligne Guy Parmentier, « mais on n'a pas touché de royalties. »

Wanadoo Editions n'est toutefois pas réputé pour ses largesses financières et le jeu reste donc réalisé avec des moyens limités. « Il faudrait que je me replonge dans les comptes, mais le budget devait se situer entre 400 000 et 600 000 euros » se souvient Guy Parmentier. En comparaison, L'Amerzone (1999) avait été réalisé avec un budget de l'ordre de 750.000 euros. Malgré ces contraintes financières, les personnages sont doublés en français et en anglais par des acteurs professionnels. « Les comédiens de tous nos jeux étaient des professionnels. Nous n'avons jamais rogné sur la qualité sonore qui est si importante pour l'ambiance et la crédibilité. Rien de tel pour assassiner un jeu que des voix et des ambiances sonores de mauvaise qualité. Nous travaillions avec le studio son Ambitus, basé à Grenoble » se souvient Philippe Gaudé.

On notera que sur le marché canadien, Loch Ness s'avère être le premier jeu distribué par The Adventure Company, qui constitue alors la toute nouvelle filiale de DreamCatcher dédiée au segment du jeu d'aventure. En France, la commercialisation est prise en charge par Wanadoo Editions, qui ne communique pas les chiffres des ventes à Galiléa. Impossible, donc, de connaître le véritable succès du jeu à sa sortie. Les estimations se révèlent toutefois plutôt décevantes. « Je n'ai pas les chiffres finaux, mais ils sont sûrement inférieurs à 100 000 exemplaires vendus » estime Guy Parmentier. Assez loin des 450.000 exemplaires de L'Amerzone écoulés entre 1999 et 2002.



« Il aurait fallu 4 à 6 mois de plus pour réaliser un très bon jeu »


Pour les anciens cofondateurs de Galiléa, le problème tient principalement aux fortes contraintes de temps qui leur ont été imposées. « Loch Ness aurait probablement pu avoir un plus grand succès commercial, mais à mon humble avis il n'était pas assez abouti pour devenir incontournable » estime Philippe Gaudé. Pour Guy Parmentier, l'engouement limité des joueurs provient aussi de la stratégie de l'éditeur. « Le succès est un cocktail qui arrive rarement. Il faut un très bon produit au bon moment avec du bon marketing. Nous avions un bon produit mais le marketing de Wanadoo Editions n'était pas bon. De plus, il aurait fallu 4 à 6 mois de plus pour réaliser un très bon jeu. On a manqué de temps et de budget pour développer toutes nos idées. »

Difficile, pourtant, de trouver un jeu d'aventure aussi réussi que Loch Ness. Sur le plan scénaristique, tout se tient. Suspense, ambiance et graphismes sont au rendez-vous. À aucun moment le joueur n'a le sentiment de faire face à un séquence bâclée. Le dernier chapitre du jeu et sa conclusion permettent de répondre à la plupart des questions soulevées au cours de l'intrigue. Certes, le jeu est souvent jugé « trop court » par les joueurs chevronnés, mais les contraintes budgétaires restent globalement imperceptibles. « Sur Loch Ness, le manque de moyens ne se ressent pas car on a ajusté le contenu au fur et à mesure de la progression du projet, pour éviter justement de louper la fin. C'était notre manière de gérer le projet pour éviter le crunch. Ce qui nous a manqué, c'est du temps pour étoffer le jeu » explique Guy Parmentier.

Preuve que le sujet est sensible, Philippe Gaudé se souvient encore des incohérences provoquées par l'abandon de certaines idées au cours du développement. « Nous n'avions pas les moyens de refaire une séquence de jeu ou un puzzle s'ils ne nous satisfaisaient pas. Un exemple dont je me rappelle encore est le chiffon qu'il faut ramasser dans la cuisine sans qu'il y ait de raison pour le faire à ce moment-là. Ca donne tout son sens à l'expression anglaise Everything and the kitchen sink ! »



Des graphismes et des cinématiques qui se démarquent


Ces quelques imperfections passent inaperçues car le jeu présente en contrepartie de solides points forts, à commencer par ses graphismes. Le joueur évolue dans des espaces aux ambiances variées, allant des salons cossus du manoir de Devil's Ridge à son grenier vermoulu, sans oublier les extérieurs enneigés, l'inquiétante distillerie McGrab, la chapelle abandonnée de Sirdach ou encore les eaux du Loch Ness, le tout dans une ambiance « années 1930 » à la Agatha Christie. La 3D précalculée a certes tendance à déformer l'extrémité des décors, mais en 2001 personne ne s'en plaint : il s'agit alors du standard des jeux d'aventure. Au demeurant, cette gêne reste minime.

Au niveau des cinématiques, le jeu surclasse la concurrence de l'époque grâce à un excellent travail réalisé sur les angles de caméra, le détail des arrières-plans, ainsi que le doublage et l'animation des personnages, dont les visages reflètent toutes sortes d'émotions. Concernant le physique du personnage principal, Clémence Perrin-McCraven se rappelle avec amusement : « Pour l'anecdote, Alan Parker Cameron a été créé avec son chapeau, mais pour une des cinématiques, il devait le retirer. C'est alors que s'est posée la question de sa coupe de cheveux. A cette époque la modélisation des cheveux était toute un affaire. Il me semble que depuis, de gros progrès ont été faits, mais par faute de temps nous avons décidé de le laisser chauve. Le résultat était très surprenant et nous a beaucoup amusés, et nous avons décidé de le garder ainsi car cela donnait une certaine profondeur au personnage. »



Certaines cinématiques durent parfois plus d'une minute et contribuent autant à la dimension narrative qu'à l'atmosphère générale. Une prouesse technique, à l'époque où les cinématiques des jeux étaient encodées aux formats Bink ou Smack, réputés pour leur pixellisation et leur poids important. À sa sortie, 2 CD-ROM étaient ainsi nécessaires pour contenir tous les fichiers du jeu.

« Je me rappelle des défis techniques et de production : c'était la première fois que nous créions des décors en rendu 3D et que nous nous lancions dans des cinématiques » souligne Philippe Gaudé. « On a tous travaillé comme des fous pour apprendre sur le tas et résoudre les problèmes. Au final, malgré des défauts qui me font encore grincer des dents, l'équipe artistique a réussi à atteindre un niveau de qualité impressionnant pour un premier titre. »

Le mérite revient notamment à Xavier Lardy, en charge des effets visuels et des animations faciales des personnages. Celui-ci garde un souvenir précis de son travail sur le jeu. « Techniquement, tout a été modélisé avec Lightwave, aussi bien les décors que les personnages, les angles de caméra et les effets visuels. Pour des raisons diverses, les personnages ont été animés et rendus avec 3D Studio Max pour le corps et Magpie pour les visages. Pour l'oeil averti, on peut noter une différence entre les rendus de 3DSMax et Lightwave » se rappelle-t-il. L'enthousiasme ressurgit lorsqu'il se remémore le travail de cette époque : « Je garde notamment un bon souvenir de la réalisation de la cinématique du sous-marin faisant surface avec son hologramme » sourit-il.



La qualité graphique du jeu est remarquée de tous, y compris de l'éditeur. « Il me semble que notre producteur chez Wanadoo avait été agréablement surpris par ce nous avions fait. Ceci a sans doute joué plus tard sur la commande d'un second opus » complète Xavier Lardy.

Le goût du détail et de l'accessibilité


Pour parvenir à un résultat aussi probant, le studio dispose d'un atout : la connaissance du terrain. En effet, au début du projet, « une équipe est partie quelques jours en Écosse pour s'imprégner des paysages et de l'ambiance » explique Philippe Gaudé. Un voyage dont se souvient également Clémence Perrin McCraven : « Pour Loch Ness, nous sommes allés faire un repérage en Écosse, pour nous imprégner de l'ambiance, mais aussi pour ramener des photos que nous pourrions utiliser comme base pour les textures des décors du jeu. Nous avons donc pris beaucoup de photos de pierres, de murs » détaille-t-elle.

Ce voyage est également l'occasion de se plonger dans l'Histoire et la mythologie des lieux. Clémence Perrin-McCraven et Jean-Paul Prado élaborent ainsi le scénario du jeu, en y intégrant une part de légendes écossaises. « Le désir de préserver beaucoup d'éléments issus de ce repérage et de cette recherche peut sans doute expliquer la présence de la Banshee » remarque Xavier Lardy. La Banshee s'avère être un précieux guide pour le joueur au cours de l'aventure. Ce fantôme bienveillant, apparaissant parfois lorsqu'on s'y attend le moins, vient faire le lien entre les trouvailles du joueur et le contexte légendaire vers lequel progresse l'enquête.



Lorsque la Banshee n'est pas là, le joueur n'est pas laissé à l'abandon : grâce au carnet de notes d'Alan Parker Cameron, le joueur peut disposer d'indications sur les tâches à effectuer pour avancer dans l'intrigue. Certains y verront un discret système d'aide intégré, ce que confirment les membres du studio. « On voulait que le joueur puisse arriver au bout du jeu » explique ainsi Guy Parmentier. Les séquences difficiles, la chasse au pixel et les énigmes tordues, faisant la réputation des jeux d'aventure de l'époque, sont donc bannies. Pour Philippe Gaudé, l'accessibilité était une condition essentielle pour répondre aux attentes des joueurs : « Les jeux d'aventure que nous avons créés avaient pour cible le grand public cherchant à se divertir de manière plus active qu'avec un film ou un roman, mais sans aller jusqu'au casse-tête complexe ». D'où le coup de pouce du carnet de Cameron. L'éditeur Wanadoo suivra la même voie en mettant en place une solution du jeu par téléphone, à une époque où tout le monde n'avait pas encore de connexion Internet pour se rendre sur jeuxvideo.com en cas de blocage.



Pour autant, les créateurs n'hésitent pas à rehausser le niveau de difficulté et à faire sursauter les joueurs sur leur chaise en introduisant des séquences de game over souvent inattendues. De quoi renforcer le suspense et faire monter la tension au fil des chapitres. Certaines parties du jeu doivent également être résolues en temps limité. « Cela constitue indéniablement un challenge inhabituel pour le jeu d'aventure, habitué à un rythme plus détendu » commente Xavier Lardy. Ce choix ne fait d'ailleurs pas l'unanimité au sein de l'équipe de Galiléa. « Sur une note personnelle, je n'ai jamais été partisan des séquences en temps limité dans un jeu d'aventures de ce type » confesse Philippe Gaudé.



Une résolution inattendue


Le dernier chapitre du jeu, dans les laboratoires de Bruce McGrab, concentre les risques de « game over » dont nous venons de parler, mais offre surtout une étonnante résolution à l'enquête. Les motivations de McGrab et de ses acolytes ont de quoi surprendre : s'emparer du pouvoir des cristaux de Sirdach pour détruire Londres. On savait les Écossais revanchards face aux Anglais, mais pas à ce point.

De même, on pourra s'étonner que le savant fou et commerçant en whisky n'ait rien trouvé de mieux à faire, pour dissimuler son sous-marin, que de l'équiper d'un système d'hologramme pour faire croire à l'apparition du montre du Loch Ness pour les personnes situées en surface. Pas très discret pour assurer la réussite de ses plans, pas très utile non plus. Mais qu'importe : même les meilleurs James Bond comportent leur lot de savants fous et de situations capillotractés.



Toujours sur le plan scénaristique, mais dans un tout autre style, on notera enfin un intéressant parallèle entre Loch Ness et L'Amerzone (paru deux ans plus tôt). Outre le fait que les deux œuvres partagent le même moteur de jeu (Phoenix VR), plusieurs points communs les réunissent, à commencer par la séquence d'introduction où le joueur arrive dans un lieu isolé, la séquence d'exploration des fonds marins, et surtout un scénario empreint de légendes : les Oiseaux blancs pour l'un, les légendes celtiques pour l'autre. Dans L'Amerzone, le but du joueur consiste à accomplir le rituel d'une légende, tandis que dans Loch Ness, le but est finalement d'éviter l'accomplissement d'un rituel légendaire destructeur.

20 ans après, les bons souvenirs demeurent


Une chose est sûre : deux décennies après sa sortie, le jeu laisse encore de nombreux souvenirs dans la tête des joueurs comme dans celle des créateurs. Pour Guy Parmentier, le développement a surtout représenté « une grosse émulation, le plaisir de faire notre premier vrai jeu d'aventure, mais aussi un gros challenge pour bien gérer la croissance du studio. »

Pour Clémence Perrin-McCraven, l'époque Loch Ness est indissociable d'une entrée dans le monde du travail aussi originale qu'enthousiasmante : « J'étais entrée chez Galiléa comme stagiaire en 2001 dans le cadre du DHET ingénieur multimédia de l'Institut National Polytechnique de Grenoble. Il s'agissait d'un stage en gestion de projet, au cours duquel j'ai finalement surtout travaillé sur le scénario, le gameplay et les dialogues de Loch Ness, avant que Guy propose de m'embaucher en CDI. C'était donc mon premier emploi "sérieux" et je me considérais comme très chanceuse d'aller travailler tous les jours pour imaginer des jeux d'aventure. »

Même constat pour Xavier Lardy : « C'était pour moi mon premier jeu vidéo, qui plus est tout en 3D » se rappelle-t-il. « Il y a eu beaucoup de difficultés techniques au début, mais une fois l'équipe lancée, la production s'est plutôt bien déroulée, dans une bonne ambiance et surtout sans crunch. L'air de rien, Galiléa a mis le pied à l'étrier à de nombreux artistes qui ont poursuivi après dans le jeu vidéo. »

Mais la mémoire est parfois sélective. « Je souris quand je vois que Xavier Lardy ne se souvient pas d'avoir travaillé en mode crunch » commente pour sa part Philippe Gaudé avec amusement. « Ça doit être une technique psychologique inconsciente pour éliminer le stress post-traumatique ! Ceci dit, c'est vrai que l'ambiance a généralement toujours été enthousiaste. C'était une belle aventure, on y croyait tous et on était investis à fond » conclut-il.


Storyboard : « Lady McFarley, 58 ans, bien allumée » précise la légende.


Storyboard : la distillerie de Bruce McGrab.


Storyboard : l'une des chambres du 1er étage du manoir de Devil's Ridge.


Storyboard : le deuxième salon du manoir, à gauche juste après la porte du hall.


Storyboard : l'énigme de la chapelle de Sirdach. « Surgis des temps anciens, Roi, reine et chevalier croiseront leur regard pour découvrir le chemin de l'indicible puissance ».