Les multiples vies de Claude Richardet
par Xavier Bargue | 23.09.2023 | Article
Certaines personnes semblent avoir plusieurs vies en une. Tel est le cas de Claude Richardet, dont les nombreuses activités et engagements nécessiteraient, pour le commun des mortels, de disposer du don d'ubiquité. Nous l'avions interviewé en 2021 dans un article dédié au studio Galiléa. Place désormais à un portrait détaillé du producteur du jeu Genesys, sorti en 2000.

Qui se souvient de Genesys, jeu d'aventure éducatif sorti il y a 23 ans ? Sans doute une poignée de trentenaires ayant vécu une douce enfance ou adolescence en compagnie d'un Windows 98.
Aux côtés des incontournables réalisations de Cryo Interactive, Genesys faisait partie des œuvres « ludo-éducatives » disposant d'une forte cote de popularité auprès des parents, qui n'hésitaient pas à offrir ces jeux culturels à leur progéniture. Genesys peut d'ailleurs être vu comme la suite directe de deux autres jeux éducatifs développés par Index+ (devenu Wanadoo Éditions en 2000) : Croisades (1997) et Vikings (1998), ayant recours au même moteur de jeu.
Contrairement à Égypte (1997), Versailles (1997) ou Chine (1998), Genesys avait la particularité de ne pas se concentrer sur une civilisation ou une époque donnée, mais avait pour ambition de retracer l'histoire de l'humanité de la Préhistoire à nos jours, en faisant étape en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique. Beau programme. À l'origine de cette idée : Claude Richardet, producteur du jeu, que nous avions interviewé il y a 2 ans à ce sujet (lire l'article).

Rejouer de nos jours à Genesys, c'est prendre sa machine à remonter dans le temps. Au sens propre d'abord, car mieux vaut disposer d'un bon vieux Windows 98 ou d'un Windows XP encore en état de marche pour faire fonctionner le jeu. Et au sens figuré, car non seulement Genesys démarre il y a 2 millions d'années, mais son gameplay replonge le joueur avec nostalgie dans les mécaniques de jeu de cette époque.
Dans un style rappelant parfois les activités « Histoire-Géo » des CD-ROM Mobiclic, le joueur doit ainsi résoudre une succession de jeux et d'énigmes pour avancer à travers les différentes périodes de l'histoire, dans l'ordre chronologique. Chaque séquence de jeu est ponctuée par une séquence de film, au cours de laquelle l'actrice Jeanne Moreau évoque les avancées techniques, sociales ou religieuses de l'époque.

Genesys apparaît donc comme un mélange de jeu d'aventure, d'encyclopédie et de documentaire. Le joueur doit notamment naviguer dans un ensemble de fiches relatives à chaque époque pour disposer des éléments qui lui permettront de résoudre les jeux qui lui sont proposés. En parallèle, certaines époques sont associées à des énigmes spécifiques : ainsi, à l'ère informatique, le joueur devra taper une ligne de code sur l'écran d'un ordinateur pour parvenir à résoudre le jeu. Inattendu !


Point fort de l'œuvre : son ouverture d'esprit, qui saute aux yeux à l'âge adulte, mais devait passer au-dessus de la tête de la plupart des enfants et adolescents ayant joué à ce jeu au début des années 2000. Ainsi le jeu rappelle-t-il que l'usage de caractères d'imprimerie n'est pas apparu en occident grâce au génie de Gutenberg comme on le croit trop souvent, mais en Chine où des techniques équivalentes avaient été mises au point de manière plus précoce.

Surtout, le jeu intègre une forte dimension sociale en mettant l'accent sur le sujet des inégalités et de la misère. À différentes époques, le joueur peut ainsi apercevoir des mendiants en marge de la société, ou constater que certains personnages du jeu souffrent du froid. « Ah je suis content que vous l'ayez vu ! » s'exclame Claude Richardet avec amusement plus de deux décennies après la sortie du jeu, à l'occasion d'un échange par téléphone. La conclusion du jeu, tournée vers l'avenir, évoque par ailleurs sans détour la nécessité de construire un monde plus égalitaire, où chacun pourra manger à sa faim. Un objectif qui reste encore à atteindre selon Claude Richardet : « J'ai la conviction que le problème des inégalités n'est hélas toujours pas résolu. Donc oui, c'est une thématique qui me tient à cœur et qui apparaît en filigrane dans le jeu. »

Loin d'avoir uniquement financé le projet, le producteur de Genesys en fut donc aussi le scénariste. Et c'est en poursuivant notre échange avec lui que nous avons pu mieux saisir le contexte ayant motivé la création de ce jeu d'aventure centré sur l'Humain.
L'histoire de Claude Richardet est d'abord celle de sa famille. À commencer par celle de Renée Vuataz, sa mère. Celle-ci appartenait à la quatrième génération d'une famille d'herboristes résidant au n°28 de la rue Coutance à Genève. L'adresse de l'herboristerie, fondée en 1827 par Félix Vuataz, n'est pas anodine : à cet endroit a également vécu Jean-Jacques Rousseau de 1718 à 1722. D'où un profond attachement de Claude Richardet envers le philosophe. Pour l'anecdote, l'activité de la famille Vuataz s'inscrit dans une forme de continuité avec le passe-temps de l'ancien occupant des lieux : « On avançait dans les pas de Jean-Jacques Rousseau, qui faisait lui-même des herbiers. Cela m'a beaucoup marqué, affectivement parlant » raconte Claude Richardet. D'autres éléments évoquent pour lui la présence du philosophe dans ce lieu d'enfance : « Il y avait dans cet appartement un évier taillé dans la pierre, qui datait certainement de l'époque du philosophe. Tout cela a été détruit maintenant. À la place, il y a un grand magasin. Cet appartement n'existe plus. »

La droguerie et herboristerie Vuataz à Genève. À gauche : Eugène Vuataz (1905-1940), arrière-grand-père de Claude Richardet. Au centre : Marcel Vuataz (1929-1976), grand-père de Claude Richardet.
Son père, Georges Richardet, est quant à lui un brillant ingénieur, devenu professeur de métallurgie à la Haute École du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève. Dans un premier temps, Claude Richardet envisage de suivre ses traces et étudie l'ingénierie de 1964 à 1968 dans l'établissement où son père enseigne. Néanmoins, tout juste diplômé, une semaine de travail dans une usine lui suffit pour se rendre compte qu'il a fait fausse route. « Ce n'était pas fait pour moi » déclare-t-il désormais en riant. D'autres domaines moins cartésiens l'attirent : le cinéma, mais également la sociologie, qu'il choisit d'étudier de 1969 à 1970 à l'université de Genève. Sans pour autant rejeter l'héritage intellectuel de son père, bien au contraire : « C'est lui qui m'a donné l'envie d'être un pionnier dans ce que j'allais faire. »
Dès les années 1960, il réalise des court-métrages amateurs qui lui permettent de découvrir les possibilités offertes par une caméra. En 1964, il tourne à 14 ans un premier film sur le thème des abeilles, avant de réaliser « La Pomme » en 1965. En 1967, il tourne à Genève en une matinée un reportage de 20 minutes intitulé « Bohèmes mais pas beatniks », qui sera présenté au festival de Nyon. S'ensuit en 1968 « J'arriverai à 10 heures », un court-métrage récompensé par plusieurs prix, toujours au festival de Nyon.
En 1971, il devient le cofondateur et le directeur du Centre d'Animation Cinématographie à Genève, une salle qui projette chaque année environ 300 films hors circuit commercial. La première manifestation débute par un hommage au comédien genevois Michel Simon en sa présence. Cette activité existe toujours avec succès dans les salles du Grütli.
D'autres réalisations suivront, mais Claude Richardet se concentre dès lors sur deux autres activités liées au cinéma : l'enseignement et la production. Côté enseignement, il devient dès 1968 professeur de cinéma au Cycle d'Orientation et à l'École de culture générale de Genève, une activité qui se poursuivra jusqu'en 1983. Côté production, il crée avec Pierre Binggeli en 1976 un studio dédié au tournage de vidéos commerciales d'entreprises, puis se lance en 1977 dans la production de films et de documentaires. Il produira ainsi une dizaine de films jusqu'à la fin des années 1990 en finançant les projets de plusieurs réalisateurs, dont François Reichenbach, Claude Goretta, Simon Edelstein et Francis Reusser.

Claude Richardet (à gauche) et Claude Goretta (à droite) au sommet du Mont Rose (Valais) à 4 634 mètres d'altitude, pour le tournage du film Visages suisses (1991) à l'occasion du 700ème anniversaire de la Confédération helvétique.
En parallèle de ses activités de production, il se lance également avec sa femme Jacqueline dans la distribution de vidéocassettes en Suisse dès 1978 avec sa société Vidéo Programs, qui fournit notamment des films français et américains aux vidéoclubs de Suisse romande. « J'avais commencé par le cinéma et quand les VHS sont apparues, j'ai sauté dessus. J'aime les nouveaux défis » affirme-t-il avec enthousiasme.
Arrive le temps du CD-ROM, qui constitue précisément un nouveau défi et un vecteur de nouvelles idées pour Claude Richardet. Avec le professeur Mendelsohn de l'Université de Genève, il se lance ainsi dans la production de CD-ROM encyclopédiques, à une époque où divers studios s'emparent de ce nouveau « support multimédia » (selon le vocabulaire de l'époque) pour tester de nouveaux concepts.
Pour Claude Richardet, c'est l'occasion de rendre hommage aux deux philosophes qu'il admire depuis sa jeunesse : Jean-Jacques Rousseau et Voltaire. Chacun bénéficie ainsi d'un CD-ROM dédié à son parcours, ses œuvres, ses idées, son entourage, sans oublier les lieux qui lui sont associés et qui peuvent être visités.


Le CD-ROM Jean-Jacques Rousseau, sorti en 1999, est un succès : il totalise plus de 100.000 ventes avant d'être réédité une seconde fois à 280.000 exemplaires pour le compte des éditions Atlas. Le CD-ROM Voltaire, sorti en 2001 alors que le marché commence déjà à évoluer, connaît des ventes plus faibles, mais néanmoins correctes. « Beaucoup d'écoles et de médiathèques ont acheté ces CD-ROM » explique Claude Richardet, ceci étant lié au soutien du ministère de l'Éducation Nationale qui a participé au cofinancement des deux projets.

Les CD-ROM font également le pont avec le monde du cinéma cher à Claude Richardet : dans la plus pure tradition des œuvres « multimédias » de cette époque, ceux-ci incluent en effet des extraits de films dédiés à la vie des deux philosophes. Le producteur acquiert ainsi les droits temporaires des téléfilms « Les Chemins de l'exil ou les Dernières Années de Jean-Jacques Rousseau » de Claude Goretta, ainsi que « Voltaire, ce Diable d'homme » de Marcel Camus, pour illustrer les étapes clés du parcours des deux protagonistes.
C'est donc en parallèle de la production de ces deux CD-ROM que Claude Richardet travaille également sur Genesys. D'où de nombreux points communs entre ce jeu d'aventure et les deux CD-ROM encyclopédiques dédiées aux philosophes des Lumières. Sur le plan scénaristique, l'humanisme de Genesys a ainsi pu être influencé par l'humanisme de Jean-Jacques Rousseau. Sur un plan plus technique, on comprendra la présence de fiches encyclopédiques à l'intérieur du jeu Genesys. Et la recette fonctionne : traduit en trois langues en plus du français, les ventes de Genesys à l'échelle mondiale dépasseront les 200.000 exemplaires selon Claude Richardet, dont les archives personnelles mentionnent notamment 17.340 exemplaires vendus en France dès le premier mois de sa sortie.
Le monde des CD-ROM encyclopédiques et/ou ludo-éducatifs n'aura finalement connu qu'une courte existence. Car dès le début des années 2000, l'arrivée de Wikipédia et de ses articles mis à jour quotidiennement par des contributeurs bénévoles ne tarde pas à supplanter le monde figé des CD-ROM encyclopédiques et des encyclopédies elles-mêmes.
Passionné par ces évolutions permanentes, Claude Richardet est lui-même devenu un contributeur de Wikipédia. Avec une légère amertume toutefois. « J'ai une opinion ambivalente vis-à-vis de Wikipédia. D'un côté, l'esprit collaboratif est fascinant, mais le risque d'erreur est important et surtout l'anonymat des contributeurs pose un problème. Le défaut de Wikipédia face aux CD-ROM encyclopédiques, c'est qu'il n'y a pas la possibilité de créer des itinéraires culturels, permettant d'amener les utilisateurs à découvrir un sujet pas à pas en suivant une forme de parcours initiatique. »
Un point de vue intéressant, illustrant une certaine perte de créativité au tournant des années 90-2000 entre un monde informatique jusqu'alors foisonnant de petits projets originaux, et un monde de plus en plus structuré, standardisé, laissant une moindre place aux nouveaux concepts.
Malgré une vie déjà bien remplie, Claude Richardet reste engagé dans de multiples activités. Après avoir touché à l'ingénierie, à l'enseignement, au cinéma ou encore aux jeux vidéo, il lui manquait encore une carrière politique. Cette lacune est désormais comblée : vivant à Condeissiat dans l'Ain, il a occupé de 2014 à 2017 les fonctions de Conseiller de la communauté de communes de Chalaronne-Centre, ainsi que de premier adjoint de la commune de Condeissiat.
« Venant de Suisse, j'ai toujours vu la politique française comme quelque chose d'abominable ! » raconte-t-il avec son indéfectible sens de l'humour. « En Suisse, on a le goût du consensus. En France, on ne l'a pas. Quoi qu'il en soit, le maire de Condeissiat est un jour venu me voir pour me proposer de devenir son premier adjoint. Il s'agissait également de conseiller la communauté de commune et ça, ça m'intéressait, car il s'agissait de mettre en valeur la région et d'y favoriser le tourisme local. » Un sujet cher à Claude Richardet : la création des CD-ROM dédiés à Jean-Jacques Rousseau et Voltaire avait déjà bénéficié du soutien de la région Rhône-Alpes pour la mise en valeur des lieux de visite rousseauistes et voltairiens au niveau régional.
Dans la même veine, Claude Richardet travaille en 2020 sur un autre projet local : la promotion d'itinéraires golfiques thématiques avec le Comité régional du tourisme de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Désormais, il est à l'origine d'un projet « Interreg France-Suisse » sur les synergies transfrontalières du Réemploi, de la Réutilisation et du Recyclage des plastiques et des textiles dans les recycleries. « Je voulais contribuer à mener action citoyenne en favorisant l'économie circulaire face aux problèmes terrifiants de la transition écologique et du recyclage » explique-t-il. « Trop de choses sont jetées. Le but de cette initiative, c'est d'accompagner les recycleries dans l'évolution indispensable de mieux recycler les plastiques et les textiles qui sont jetés dans des décharges dans d'impressionnantes quantités. » Ce projet nécessite par ailleurs de trouver des financements, un sujet dont Claude Richardet est familier en tant qu'ancien producteur. « J'aime bien cette partie du travail, » explique-t-il, d'autant plus que « Le projet Interreg m'a permis de trouver un financement au niveau européen, ce qui était très motivant. » Il s'engage également dans diverses activités locales, comme l'opération « Des lits pour l'hôpital de Gombe-Matadi, » dont il est le coordinateur dans la commune de Neuville-les-Dames en 2017.

Claude Richardet (à gauche), José Mambwini (chef du département des lettres et civilisation latines à l'université pédagogique nationale de Kinshasa, au centre) et Florent Chevel (maire de Neuville-les-Dames, à droite), dans le cadre de l'opération humanitaire de dons de lits médicalisés en faveur de l'hôpital de brousse de Gombe-Matadi en RDC.
On l'aura compris : à l'âge de 76 ans, Claude Richardet est encore loin de prendre une véritable retraite. Animé d'une éternelle curiosité, n'hésitant jamais à se lancer dans de nouveaux projets, l'étincelle ne l'a pas quitté. À l'écouter, on le sait heureux d'avoir pu accomplir tant de choses. « Parfois, cela me dépasse, » nous confie-t-il. « J'ai fait toute ma carrière dans l'audiovisuel. J'ai vécu une période bénie où tout évoluait vite. Nous étions des pionniers. Aujourd'hui, le monde est dominé par les grands groupes : la liberté créative est moindre, mais il y a encore beaucoup de belles choses à accomplir ! »

Qui se souvient de Genesys, jeu d'aventure éducatif sorti il y a 23 ans ? Sans doute une poignée de trentenaires ayant vécu une douce enfance ou adolescence en compagnie d'un Windows 98.
Aux côtés des incontournables réalisations de Cryo Interactive, Genesys faisait partie des œuvres « ludo-éducatives » disposant d'une forte cote de popularité auprès des parents, qui n'hésitaient pas à offrir ces jeux culturels à leur progéniture. Genesys peut d'ailleurs être vu comme la suite directe de deux autres jeux éducatifs développés par Index+ (devenu Wanadoo Éditions en 2000) : Croisades (1997) et Vikings (1998), ayant recours au même moteur de jeu.
Genesys, une étonnante création à redécouvrir
Contrairement à Égypte (1997), Versailles (1997) ou Chine (1998), Genesys avait la particularité de ne pas se concentrer sur une civilisation ou une époque donnée, mais avait pour ambition de retracer l'histoire de l'humanité de la Préhistoire à nos jours, en faisant étape en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique. Beau programme. À l'origine de cette idée : Claude Richardet, producteur du jeu, que nous avions interviewé il y a 2 ans à ce sujet (lire l'article).

Rejouer de nos jours à Genesys, c'est prendre sa machine à remonter dans le temps. Au sens propre d'abord, car mieux vaut disposer d'un bon vieux Windows 98 ou d'un Windows XP encore en état de marche pour faire fonctionner le jeu. Et au sens figuré, car non seulement Genesys démarre il y a 2 millions d'années, mais son gameplay replonge le joueur avec nostalgie dans les mécaniques de jeu de cette époque.
Dans un style rappelant parfois les activités « Histoire-Géo » des CD-ROM Mobiclic, le joueur doit ainsi résoudre une succession de jeux et d'énigmes pour avancer à travers les différentes périodes de l'histoire, dans l'ordre chronologique. Chaque séquence de jeu est ponctuée par une séquence de film, au cours de laquelle l'actrice Jeanne Moreau évoque les avancées techniques, sociales ou religieuses de l'époque.

Genesys apparaît donc comme un mélange de jeu d'aventure, d'encyclopédie et de documentaire. Le joueur doit notamment naviguer dans un ensemble de fiches relatives à chaque époque pour disposer des éléments qui lui permettront de résoudre les jeux qui lui sont proposés. En parallèle, certaines époques sont associées à des énigmes spécifiques : ainsi, à l'ère informatique, le joueur devra taper une ligne de code sur l'écran d'un ordinateur pour parvenir à résoudre le jeu. Inattendu !


Point fort de l'œuvre : son ouverture d'esprit, qui saute aux yeux à l'âge adulte, mais devait passer au-dessus de la tête de la plupart des enfants et adolescents ayant joué à ce jeu au début des années 2000. Ainsi le jeu rappelle-t-il que l'usage de caractères d'imprimerie n'est pas apparu en occident grâce au génie de Gutenberg comme on le croit trop souvent, mais en Chine où des techniques équivalentes avaient été mises au point de manière plus précoce.

Surtout, le jeu intègre une forte dimension sociale en mettant l'accent sur le sujet des inégalités et de la misère. À différentes époques, le joueur peut ainsi apercevoir des mendiants en marge de la société, ou constater que certains personnages du jeu souffrent du froid. « Ah je suis content que vous l'ayez vu ! » s'exclame Claude Richardet avec amusement plus de deux décennies après la sortie du jeu, à l'occasion d'un échange par téléphone. La conclusion du jeu, tournée vers l'avenir, évoque par ailleurs sans détour la nécessité de construire un monde plus égalitaire, où chacun pourra manger à sa faim. Un objectif qui reste encore à atteindre selon Claude Richardet : « J'ai la conviction que le problème des inégalités n'est hélas toujours pas résolu. Donc oui, c'est une thématique qui me tient à cœur et qui apparaît en filigrane dans le jeu. »

Loin d'avoir uniquement financé le projet, le producteur de Genesys en fut donc aussi le scénariste. Et c'est en poursuivant notre échange avec lui que nous avons pu mieux saisir le contexte ayant motivé la création de ce jeu d'aventure centré sur l'Humain.
Origines familiales : un lien particulier avec Jean-Jacques Rousseau
L'histoire de Claude Richardet est d'abord celle de sa famille. À commencer par celle de Renée Vuataz, sa mère. Celle-ci appartenait à la quatrième génération d'une famille d'herboristes résidant au n°28 de la rue Coutance à Genève. L'adresse de l'herboristerie, fondée en 1827 par Félix Vuataz, n'est pas anodine : à cet endroit a également vécu Jean-Jacques Rousseau de 1718 à 1722. D'où un profond attachement de Claude Richardet envers le philosophe. Pour l'anecdote, l'activité de la famille Vuataz s'inscrit dans une forme de continuité avec le passe-temps de l'ancien occupant des lieux : « On avançait dans les pas de Jean-Jacques Rousseau, qui faisait lui-même des herbiers. Cela m'a beaucoup marqué, affectivement parlant » raconte Claude Richardet. D'autres éléments évoquent pour lui la présence du philosophe dans ce lieu d'enfance : « Il y avait dans cet appartement un évier taillé dans la pierre, qui datait certainement de l'époque du philosophe. Tout cela a été détruit maintenant. À la place, il y a un grand magasin. Cet appartement n'existe plus. »

La droguerie et herboristerie Vuataz à Genève. À gauche : Eugène Vuataz (1905-1940), arrière-grand-père de Claude Richardet. Au centre : Marcel Vuataz (1929-1976), grand-père de Claude Richardet.
Son père, Georges Richardet, est quant à lui un brillant ingénieur, devenu professeur de métallurgie à la Haute École du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève. Dans un premier temps, Claude Richardet envisage de suivre ses traces et étudie l'ingénierie de 1964 à 1968 dans l'établissement où son père enseigne. Néanmoins, tout juste diplômé, une semaine de travail dans une usine lui suffit pour se rendre compte qu'il a fait fausse route. « Ce n'était pas fait pour moi » déclare-t-il désormais en riant. D'autres domaines moins cartésiens l'attirent : le cinéma, mais également la sociologie, qu'il choisit d'étudier de 1969 à 1970 à l'université de Genève. Sans pour autant rejeter l'héritage intellectuel de son père, bien au contraire : « C'est lui qui m'a donné l'envie d'être un pionnier dans ce que j'allais faire. »
De multiples activités liées au cinéma
Dès les années 1960, il réalise des court-métrages amateurs qui lui permettent de découvrir les possibilités offertes par une caméra. En 1964, il tourne à 14 ans un premier film sur le thème des abeilles, avant de réaliser « La Pomme » en 1965. En 1967, il tourne à Genève en une matinée un reportage de 20 minutes intitulé « Bohèmes mais pas beatniks », qui sera présenté au festival de Nyon. S'ensuit en 1968 « J'arriverai à 10 heures », un court-métrage récompensé par plusieurs prix, toujours au festival de Nyon.
En 1971, il devient le cofondateur et le directeur du Centre d'Animation Cinématographie à Genève, une salle qui projette chaque année environ 300 films hors circuit commercial. La première manifestation débute par un hommage au comédien genevois Michel Simon en sa présence. Cette activité existe toujours avec succès dans les salles du Grütli.
D'autres réalisations suivront, mais Claude Richardet se concentre dès lors sur deux autres activités liées au cinéma : l'enseignement et la production. Côté enseignement, il devient dès 1968 professeur de cinéma au Cycle d'Orientation et à l'École de culture générale de Genève, une activité qui se poursuivra jusqu'en 1983. Côté production, il crée avec Pierre Binggeli en 1976 un studio dédié au tournage de vidéos commerciales d'entreprises, puis se lance en 1977 dans la production de films et de documentaires. Il produira ainsi une dizaine de films jusqu'à la fin des années 1990 en finançant les projets de plusieurs réalisateurs, dont François Reichenbach, Claude Goretta, Simon Edelstein et Francis Reusser.

Claude Richardet (à gauche) et Claude Goretta (à droite) au sommet du Mont Rose (Valais) à 4 634 mètres d'altitude, pour le tournage du film Visages suisses (1991) à l'occasion du 700ème anniversaire de la Confédération helvétique.
En parallèle de ses activités de production, il se lance également avec sa femme Jacqueline dans la distribution de vidéocassettes en Suisse dès 1978 avec sa société Vidéo Programs, qui fournit notamment des films français et américains aux vidéoclubs de Suisse romande. « J'avais commencé par le cinéma et quand les VHS sont apparues, j'ai sauté dessus. J'aime les nouveaux défis » affirme-t-il avec enthousiasme.
L'arrivée des CD-ROM éducatifs
Arrive le temps du CD-ROM, qui constitue précisément un nouveau défi et un vecteur de nouvelles idées pour Claude Richardet. Avec le professeur Mendelsohn de l'Université de Genève, il se lance ainsi dans la production de CD-ROM encyclopédiques, à une époque où divers studios s'emparent de ce nouveau « support multimédia » (selon le vocabulaire de l'époque) pour tester de nouveaux concepts.
Pour Claude Richardet, c'est l'occasion de rendre hommage aux deux philosophes qu'il admire depuis sa jeunesse : Jean-Jacques Rousseau et Voltaire. Chacun bénéficie ainsi d'un CD-ROM dédié à son parcours, ses œuvres, ses idées, son entourage, sans oublier les lieux qui lui sont associés et qui peuvent être visités.


Le CD-ROM Jean-Jacques Rousseau, sorti en 1999, est un succès : il totalise plus de 100.000 ventes avant d'être réédité une seconde fois à 280.000 exemplaires pour le compte des éditions Atlas. Le CD-ROM Voltaire, sorti en 2001 alors que le marché commence déjà à évoluer, connaît des ventes plus faibles, mais néanmoins correctes. « Beaucoup d'écoles et de médiathèques ont acheté ces CD-ROM » explique Claude Richardet, ceci étant lié au soutien du ministère de l'Éducation Nationale qui a participé au cofinancement des deux projets.

Les CD-ROM font également le pont avec le monde du cinéma cher à Claude Richardet : dans la plus pure tradition des œuvres « multimédias » de cette époque, ceux-ci incluent en effet des extraits de films dédiés à la vie des deux philosophes. Le producteur acquiert ainsi les droits temporaires des téléfilms « Les Chemins de l'exil ou les Dernières Années de Jean-Jacques Rousseau » de Claude Goretta, ainsi que « Voltaire, ce Diable d'homme » de Marcel Camus, pour illustrer les étapes clés du parcours des deux protagonistes.
C'est donc en parallèle de la production de ces deux CD-ROM que Claude Richardet travaille également sur Genesys. D'où de nombreux points communs entre ce jeu d'aventure et les deux CD-ROM encyclopédiques dédiées aux philosophes des Lumières. Sur le plan scénaristique, l'humanisme de Genesys a ainsi pu être influencé par l'humanisme de Jean-Jacques Rousseau. Sur un plan plus technique, on comprendra la présence de fiches encyclopédiques à l'intérieur du jeu Genesys. Et la recette fonctionne : traduit en trois langues en plus du français, les ventes de Genesys à l'échelle mondiale dépasseront les 200.000 exemplaires selon Claude Richardet, dont les archives personnelles mentionnent notamment 17.340 exemplaires vendus en France dès le premier mois de sa sortie.
La révolution wikipédienne, entre innovation et déception
Le monde des CD-ROM encyclopédiques et/ou ludo-éducatifs n'aura finalement connu qu'une courte existence. Car dès le début des années 2000, l'arrivée de Wikipédia et de ses articles mis à jour quotidiennement par des contributeurs bénévoles ne tarde pas à supplanter le monde figé des CD-ROM encyclopédiques et des encyclopédies elles-mêmes.
Passionné par ces évolutions permanentes, Claude Richardet est lui-même devenu un contributeur de Wikipédia. Avec une légère amertume toutefois. « J'ai une opinion ambivalente vis-à-vis de Wikipédia. D'un côté, l'esprit collaboratif est fascinant, mais le risque d'erreur est important et surtout l'anonymat des contributeurs pose un problème. Le défaut de Wikipédia face aux CD-ROM encyclopédiques, c'est qu'il n'y a pas la possibilité de créer des itinéraires culturels, permettant d'amener les utilisateurs à découvrir un sujet pas à pas en suivant une forme de parcours initiatique. »
Un point de vue intéressant, illustrant une certaine perte de créativité au tournant des années 90-2000 entre un monde informatique jusqu'alors foisonnant de petits projets originaux, et un monde de plus en plus structuré, standardisé, laissant une moindre place aux nouveaux concepts.
Une retraite active et remplie de projets
Malgré une vie déjà bien remplie, Claude Richardet reste engagé dans de multiples activités. Après avoir touché à l'ingénierie, à l'enseignement, au cinéma ou encore aux jeux vidéo, il lui manquait encore une carrière politique. Cette lacune est désormais comblée : vivant à Condeissiat dans l'Ain, il a occupé de 2014 à 2017 les fonctions de Conseiller de la communauté de communes de Chalaronne-Centre, ainsi que de premier adjoint de la commune de Condeissiat.
« Venant de Suisse, j'ai toujours vu la politique française comme quelque chose d'abominable ! » raconte-t-il avec son indéfectible sens de l'humour. « En Suisse, on a le goût du consensus. En France, on ne l'a pas. Quoi qu'il en soit, le maire de Condeissiat est un jour venu me voir pour me proposer de devenir son premier adjoint. Il s'agissait également de conseiller la communauté de commune et ça, ça m'intéressait, car il s'agissait de mettre en valeur la région et d'y favoriser le tourisme local. » Un sujet cher à Claude Richardet : la création des CD-ROM dédiés à Jean-Jacques Rousseau et Voltaire avait déjà bénéficié du soutien de la région Rhône-Alpes pour la mise en valeur des lieux de visite rousseauistes et voltairiens au niveau régional.
Dans la même veine, Claude Richardet travaille en 2020 sur un autre projet local : la promotion d'itinéraires golfiques thématiques avec le Comité régional du tourisme de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Désormais, il est à l'origine d'un projet « Interreg France-Suisse » sur les synergies transfrontalières du Réemploi, de la Réutilisation et du Recyclage des plastiques et des textiles dans les recycleries. « Je voulais contribuer à mener action citoyenne en favorisant l'économie circulaire face aux problèmes terrifiants de la transition écologique et du recyclage » explique-t-il. « Trop de choses sont jetées. Le but de cette initiative, c'est d'accompagner les recycleries dans l'évolution indispensable de mieux recycler les plastiques et les textiles qui sont jetés dans des décharges dans d'impressionnantes quantités. » Ce projet nécessite par ailleurs de trouver des financements, un sujet dont Claude Richardet est familier en tant qu'ancien producteur. « J'aime bien cette partie du travail, » explique-t-il, d'autant plus que « Le projet Interreg m'a permis de trouver un financement au niveau européen, ce qui était très motivant. » Il s'engage également dans diverses activités locales, comme l'opération « Des lits pour l'hôpital de Gombe-Matadi, » dont il est le coordinateur dans la commune de Neuville-les-Dames en 2017.

Claude Richardet (à gauche), José Mambwini (chef du département des lettres et civilisation latines à l'université pédagogique nationale de Kinshasa, au centre) et Florent Chevel (maire de Neuville-les-Dames, à droite), dans le cadre de l'opération humanitaire de dons de lits médicalisés en faveur de l'hôpital de brousse de Gombe-Matadi en RDC.
On l'aura compris : à l'âge de 76 ans, Claude Richardet est encore loin de prendre une véritable retraite. Animé d'une éternelle curiosité, n'hésitant jamais à se lancer dans de nouveaux projets, l'étincelle ne l'a pas quitté. À l'écouter, on le sait heureux d'avoir pu accomplir tant de choses. « Parfois, cela me dépasse, » nous confie-t-il. « J'ai fait toute ma carrière dans l'audiovisuel. J'ai vécu une période bénie où tout évoluait vite. Nous étions des pionniers. Aujourd'hui, le monde est dominé par les grands groupes : la liberté créative est moindre, mais il y a encore beaucoup de belles choses à accomplir ! »
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