En conversation avec Benoît Sokal
par LFP | 09.02.2011 | Interview
« Tu dois me trouver bien amer, Alexandre. Mais si tu savais comme ce pays est devenu triste... Comme si une malédiction implacable l'avait frappé... Cependant, si tu persistes dans ta volonté de retourner en Amerzone et si, comme tu le projettes, tu fais escale à la mission de Puebla, sache que tu ne trouveras sans doute pas le compagnon de tes aventures de jeunesse mais un pauvre vieillard édenté qui sera heureux quand même de te recevoir sous son toit. Alors nous irons, comme deux fantômes fatigués, nous asseoir au bord du fleuve voir le soleil se coucher sur notre vie ».
– Lettre de David Mackowski à Alexandre Valembois, 12 avril 1998 (L'Amerzone)
L'Amerzone... Voilà plus de 10 ans que ce jeu d'aventure de Benoît Sokal est sorti. Un jeu à l'image de cette citation provenant d'une lettre écrite par le prêtre Mackowski à son vieil ami Valembois : sur un fond de mélancolie et d'erreurs passées, les douces notes d'une poésie se font entendre, et amènent dans le rêve, vers un onirisme silencieux mais visuellement magnifique.
En ce qui me concerne, L'Amerzone a été mon premier jeu d'aventure, offert par mon oncle. J'étais alors assez jeune et je regardais surtout ma sœur y jouer. Puis l'envie m'est venue de prendre moi-même la souris et de m'aventurer dans la jungle amerzonienne. De là est née ma passion du jeu d'aventure. L'Amerzone est d'une rare subtilité : c'est l'un des seuls jeux d'aventure qui contienne différents niveaux de lecture. A 8 ans, j'étais principalement émerveillé par le côté fantastique de l'aventure, par ces animaux imaginaires et amusants comme le "ventousier" qui était poilu et que j'aurais voulu avoir en peluche. En revanche, je n'avais absolument pas saisi la dimension mélancolique voire tragique de l'intrigue. Cela est venu après, lorsque j'ai rejoué au jeu il y a 4 ans. C'est comme si j'avais joué à un nouveau jeu, beaucoup plus sérieux, mais dans lequel le rêve finit quand même par triompher.
J'avais envie depuis quelque temps de revenir à ce jeu et de publier un bel article à son sujet. Ou plutôt une étude, une étude minutieuse traitant justement des différents niveaux de lecture de l'aventure, des éventuels messages universels qui y étaient glissés, le tout accompagné d'une interview de Benoît Sokal pour découvrir dans les plus infimes détails comment le jeu avait été réalisé. Et puis ce projet d'étude a pris une autre forme avec le temps, et finalement c'est sur Wikipédia que je l'ai mis en œuvre en rédigeant l'article au sujet de L'Amerzone. Alors que l'article était presque fini, quelques points restaient à éclaircir, et j'ai donc décidé de contacter Benoît Sokal pour avoir des précisions et d'éventuelles corrections relatives à cet article. C'est ainsi que j'ai pu avoir Benoît Sokal au téléphone le 6 février, et nous avons parlé de pas mal de choses en sortant un peu, sur la fin, du sujet de L'Amerzone.
Je partage ici avec vous une sorte de compte-rendu de cette conversation. Au préalable, pour mieux mettre en contexte certains propos au sujet de L'Amerzone, je pense qu'une lecture de l'article de Wikipédia vous sera utile. Notez que le compte-rendu que vous êtes en train de lire va servir à compléter l'article de Wikipédia, donc vous y lirez inévitablement certaines informations "en double". Si vous n'avez pas joué au jeu, vous pouvez tout simplement aller directement en bas de page, où je traite de White Birds et des projets de Sokal. Pour rappel, après "L'Amerzone" en 1999, Benoît Sokal a ensuite réalisé "Syberia" en 2002 et sa suite en 2004, grands classiques du jeu d'aventure. Sa carrière de game designer a continué avec "Paradise" en 2006 et "L'Île Noyée" en 2007. Bien avant de se lancer dans le domaine du jeu vidéo, Benoît Sokal était et est toujours un créateur de bandes dessinées. Il a notamment inventé les aventures de Canardo (série de 19 BD à ce jour), et travaille actuellement sur la courte série intitulée "Kraa".
L'Amerzone
Commençons par une petite statistique : en 12 ans, L'Amerzone s'est vendue à plus d'un million d'exemplaires tous supports confondus. Plus d'un million de ventes, c'est vraiment exceptionnel pour un jeu d'aventure. Ça correspond au succès des "Chevaliers de Baphomet 1" par exemple (sans tenir compte de la version Director's Cut).
Comme évoqué sur Wikipédia, le projet qui a abouti à la réalisation de L'Amerzone a commencé en 1995, et était à l'origine complètement différent de ce qu'il est devenu en 1999. Il ne s'agissait pas de créer un jeu vidéo, mais un petit CD-ROM contenant diverses réalisations de Sokal. N'ayant alors pas plus de précisions sur ce projet abandonné, j'ai demandé à Sokal ce qu'aurait exactement contenu le CD-ROM. Réponse : "rien" ! Ou plutôt, rien de très intéressant selon notre point de vue doté de 15 ans de recul. En fait, le CD-ROM aurait simplement contenu des images et éventuellement quelques réalisations en 3D. Par exemple, Benoît Sokal m'a expliqué que l'une des images prévues dans ce projet était une photographie de sa propre maison, à laquelle étaient rajoutés des éclairs par superposition pour donner un paysage orageux. En somme, le CD-ROM aurait contenu un ensemble de petites réalisations que de nos jours tout le monde est capable de faire avec Photoshop ou un équivalent. Mais comme me l'a expliqué Sokal, à l'époque tous ces logiciels grand public n'existaient pas, et les réalisations numériques étaient rares. Ainsi, toute création informatique s'apparentait à une performance exceptionnelle, et ce genre d'images arrangées sur ordinateur suscitaient l'admiration. Mais très rapidement, l'informatique a évolué, et Sokal ainsi que Casterman se sont rendus compte que ce CD-ROM serait un échec. Le projet a donc été complètement modifié, s'orientant vers la réalisation d'un véritable jeu vidéo : L'Amerzone, reprenant l'univers d'une aventure de Canardo de 1986 elle-même intitulée "L'Amerzone".
Étant donné que le projet est passé en 1995 de simple CD-ROM à jeu vidéo, je me demandais si l'idée d'adapter en jeu vidéo la BD "L'Amerzone" des aventures de Canardo avait été immédiatement envisagée, ou si d'autres idées d'adaptation étaient venues à l'esprit de Sokal. Réponse : il n'y a pas eu d'hésitations. Benoît Sokal avait inventé l'univers de L'Amerzone au milieu des années 1980, et l'avait donc mis en scène dans une aventure de Canardo. Cependant, Sokal m'a expliqué qu'il avait alors à cœur de revenir un jour ou l'autre vers l'univers très riche de l'Amerzone qu'il avait imaginé, et qu'il trouvait trop peu développé dans la BD de Canardo. Ainsi, lorsque le projet de CD-ROM s'est transformé en projet de jeu vidéo en 1995, l'idée d'y développer le "pitch" de L'Amerzone inventé 10 ans plus tôt s'est imposé comme une évidence.
L'Amerzone est donc un projet qui, jusqu'en 1998, a été mené à deux dans les locaux de Casterman par Benoît Sokal et Gregory Duquesne. Ce dernier a quitté Casterman en 1998, soit un an avant la fin du projet, et son nom est à l'évidence resté dans l'ombre de celui de Sokal à la sortie du jeu. Je voulais donc avoir des précisions à son sujet. Benoît Sokal m'a tout d'abord expliqué que Duquesne était présent chez Casterman car il y faisait son service civil, ne souhaitant pas réaliser de service militaire (c'était encore l'époque de la conscription). Son rôle dans le développement du jeu a été important. Bien qu'il n'ait pas beaucoup participé au scénario du jeu, ses compétences en informatique ont été déterminantes : il a notamment rendu possible la simulation de nombreux effets naturels ainsi que de la poussière s'élevant du sol. Ingénieur de formation, il a surtout participé aux aspects techniques relatifs à la 3D, ainsi qu'au game design, rendant le jeu beaucoup plus interactif que ce qu'avait en tête Benoît Sokal, habitué à créer des aventures linéaires de bande dessinée. Le logiciel Lightwave a été utilisé pour les réalisations 3D, et Bryce 3D pour générer les paysages.
Chose beaucoup moins connue, le scénariste de bandes dessinées Benoît Peeters a aussi participé de manière très brève au projet dans les tous premiers temps, mais a très rapidement quitté la petite équipe. Sa contribution au jeu a donc été sympathique et enrichissante mais "non significative" dans le projet final d'après les termes de Benoît Sokal au téléphone.
Le développement du jeu a été parsemé d'embuches. Le budget de départ a été nettement dépassé, Casterman n’allait pas très bien à l’époque et l'éditeur Microfolie's qui avait rejoint le projet en 1997 a lui véritablement coulé en 1998, mais fort heureusement Microïds a racheté le petit éditeur et a continué à financer le projet pendant la dernière année du développement.
A partir de 1996, d'autres personnes provenant de l'école SupInfoCom de Valenciennes sont venues se greffer à l'équipe pour suppléer Benoît Sokal dans la réalisation du jeu. Ces personnes sont donc à différencier de l'équipe du studio belge nommé "Grid" qui s'est, lui, occupé des cinématiques et des animations des personnages nécessaires à la réalisation de ces cinématiques.
Concernant les musiques et les doublages du jeu, tout a été réalisé dans le studio KBP (Knockin' Boots Productions). La musique est de Nicholas Varley sous la direction de Dimitry Bodiansky. Quant aux doublages, les crédits du jeu mentionnent les acteurs français sans préciser pour quel personnage ils ont prêté leurs voix. J'ai donc dû contacter Guillaume Lénel (ingénieur du son chez KBP) pour savoir quel personnage était doublé par chaque acteur. La réponse est la suivante :
Alexandre Valembois : Michel Barbey
Antonio Alvarez : Marc Moro
David Mackowski : Luc Gentil
Narratrice (scène finale) : Françoise Cadol
Facteur (scène d'ouverture) : Hubert Drac
On retrouve la voix de la plupart de ces acteurs dans les autres jeux de Benoît Sokal que sont Syberia (1 & 2), Paradise et L'Ile Noyée.
A la sortie du jeu, Casterman et Microïds ne croyaient plus tellement dans le jeu. Dans ces studios, tout le monde s'accorde à dire que les images du jeu sont très belles, mais cela n'est pas forcément synonyme de succès. Et pourtant ! A sa sortie, le jeu est très rapidement un succès retentissant. Les critiques sont souvent très positives. Benoît Sokal m'a expliqué que par-dessus tout, le plus extraordinaire a été le fait que la presse généraliste (Télérama, Libération etc) aient publié des critiques "dithyrambiques" du jeu. L'Amerzone est enfin récompensé par un prix au festival Imagina en 1999, ce qui joue en France un rôle de détonateur pour le succès du jeu. L'aventure se termine donc de la plus belle des manières...
White Birds Productions
Epok nous annonçait il y a un mois la faillite du studio White Birds Productions, dont Benoît Sokal a été l'un des fondateurs avec Jean-Philippe Messian, Olivier Fontenay et Michel Bams. Nous avons donc discuté de ce studio.
White Birds a été créé suite au licenciement d'un certain nombre de personnes travaillant chez Microids, qui ont gardé l'envie de travailler ensemble. C'est au sein de cette structure que Benoît Sokal a pu réaliser Paradise (sorti en 2006) et L'Île Noyée (sorti en 2007).
Cependant, dès le début, le petit studio disposait de budgets assez faibles. Sokal m'a expliqué que Paradise a souffert d'un manque de moyens et de temps ce qui a mené à la présence de quelques "bugs" dans le jeu, très décriés par les critiques. "White Birds n'était peut-être pas, avec le recul, la structure la mieux adaptée pour ce projet", m'a confié Benoît Sokal.
Déjà en difficultés après quelques années, White Birds s'est tourné vers le portage de ses propres jeux sur de nouveaux supports plutôt que de lancer de nouveaux projets lourds. Benoît Sokal, ne trouvant plus vraiment sa place dans le studio, s'en est alors beaucoup éloigné pour garder sa pleine liberté d'auteur. La faillite du studio n'a donc pas d'impact important sur ses projets personnels. Cette faillite s'explique en grande partie par la crise économique qui a touché tous les secteurs ces 2 ou 3 dernières années.
Projets...
Les projets de Benoît Sokal sont désormais davantage orientés vers la bande dessinée que le jeu vidéo. Cela méritait quelques questions relatives à certains de ses projets que l'auteur avait évoqués dans diverses interviews disponibles sur le net.
Les amateurs de L'Île noyée ont peut-être entendu parler du fait que Sokal avait prévu de réaliser une seconde aventure mettant en scène Jack Norm dans une enquête prenant place dans un théâtre de Broadway. Malheureusement, ce projet a été abandonné.
Dans une interview datant de 2007, Benoît Sokal avait évoqué l’idée de réaliser un jour un "simulateur d'oiseau" pour PC. Ce projet a en lui-même été abandonné, mais a été en quelque sorte recyclé dans la dernière bande dessinée de Sokal, intitulée "Kraa" (un premier épisode est sorti en septembre 2010, un second est à venir, il ne s'agit pas d'une aventure de Canardo).
Autre projet de Sokal, en collaboration avec François Schuiten : "Aquarica", qui devait à l'origine constituer un film ainsi qu'un jeu vidéo. Ce projet est actuellement en "stand by", m'a confié Sokal.
Enfin, cher lecteur, vous devez penser au projet Syberia 3, dont on entend parler de plus en plus et qui, aux dernières nouvelles, devait sortir début 2012. Eh bien préparez-vous à une grande claque : pour l'instant rien n'a été lancé concernant Syberia 3 ! En réalité, Anuman Interactive a bien l'intention de développer ce jeu, de même que Benoît Sokal est intéressé par ce projet, mais l'éternel problème du manque d'investissement bloque sa mise en route. Pour Benoît Sokal, Syberia 3 ne peut pas réutiliser les mêmes technologies que Syberia 1 ou Syberia 2, car bien que cela satisferait les amateurs de jeux d'aventure purs et durs, l'ancienneté de ces technologies aboutiraient à un flop commercial. Pour Syberia 3, Benoît Sokal veut des graphismes splendides et de la 3D. Pour vous faire une idée, Sokal a évoqué au bout du fil des graphismes aussi époustouflants que ceux du jeu Assassin's Creed. Or, une telle réalisation nécessite un budget très conséquent, pour l'instant hors de portée. Rien n'a donc encore été fait pour Syberia 3, pas même un début de scénario. "Syberia 3 n'est pas pour un futur proche", a résumé Benoît Sokal. Conclusion : il faudra sans doute être très patient avant de retrouver Kate Walker dans une nouvelle aventure... A moins qu’elle ne poursuive ses aventures en bande dessinée ou au cinéma...
– Lettre de David Mackowski à Alexandre Valembois, 12 avril 1998 (L'Amerzone)

En ce qui me concerne, L'Amerzone a été mon premier jeu d'aventure, offert par mon oncle. J'étais alors assez jeune et je regardais surtout ma sœur y jouer. Puis l'envie m'est venue de prendre moi-même la souris et de m'aventurer dans la jungle amerzonienne. De là est née ma passion du jeu d'aventure. L'Amerzone est d'une rare subtilité : c'est l'un des seuls jeux d'aventure qui contienne différents niveaux de lecture. A 8 ans, j'étais principalement émerveillé par le côté fantastique de l'aventure, par ces animaux imaginaires et amusants comme le "ventousier" qui était poilu et que j'aurais voulu avoir en peluche. En revanche, je n'avais absolument pas saisi la dimension mélancolique voire tragique de l'intrigue. Cela est venu après, lorsque j'ai rejoué au jeu il y a 4 ans. C'est comme si j'avais joué à un nouveau jeu, beaucoup plus sérieux, mais dans lequel le rêve finit quand même par triompher.
J'avais envie depuis quelque temps de revenir à ce jeu et de publier un bel article à son sujet. Ou plutôt une étude, une étude minutieuse traitant justement des différents niveaux de lecture de l'aventure, des éventuels messages universels qui y étaient glissés, le tout accompagné d'une interview de Benoît Sokal pour découvrir dans les plus infimes détails comment le jeu avait été réalisé. Et puis ce projet d'étude a pris une autre forme avec le temps, et finalement c'est sur Wikipédia que je l'ai mis en œuvre en rédigeant l'article au sujet de L'Amerzone. Alors que l'article était presque fini, quelques points restaient à éclaircir, et j'ai donc décidé de contacter Benoît Sokal pour avoir des précisions et d'éventuelles corrections relatives à cet article. C'est ainsi que j'ai pu avoir Benoît Sokal au téléphone le 6 février, et nous avons parlé de pas mal de choses en sortant un peu, sur la fin, du sujet de L'Amerzone.

L'Amerzone
Commençons par une petite statistique : en 12 ans, L'Amerzone s'est vendue à plus d'un million d'exemplaires tous supports confondus. Plus d'un million de ventes, c'est vraiment exceptionnel pour un jeu d'aventure. Ça correspond au succès des "Chevaliers de Baphomet 1" par exemple (sans tenir compte de la version Director's Cut).
Comme évoqué sur Wikipédia, le projet qui a abouti à la réalisation de L'Amerzone a commencé en 1995, et était à l'origine complètement différent de ce qu'il est devenu en 1999. Il ne s'agissait pas de créer un jeu vidéo, mais un petit CD-ROM contenant diverses réalisations de Sokal. N'ayant alors pas plus de précisions sur ce projet abandonné, j'ai demandé à Sokal ce qu'aurait exactement contenu le CD-ROM. Réponse : "rien" ! Ou plutôt, rien de très intéressant selon notre point de vue doté de 15 ans de recul. En fait, le CD-ROM aurait simplement contenu des images et éventuellement quelques réalisations en 3D. Par exemple, Benoît Sokal m'a expliqué que l'une des images prévues dans ce projet était une photographie de sa propre maison, à laquelle étaient rajoutés des éclairs par superposition pour donner un paysage orageux. En somme, le CD-ROM aurait contenu un ensemble de petites réalisations que de nos jours tout le monde est capable de faire avec Photoshop ou un équivalent. Mais comme me l'a expliqué Sokal, à l'époque tous ces logiciels grand public n'existaient pas, et les réalisations numériques étaient rares. Ainsi, toute création informatique s'apparentait à une performance exceptionnelle, et ce genre d'images arrangées sur ordinateur suscitaient l'admiration. Mais très rapidement, l'informatique a évolué, et Sokal ainsi que Casterman se sont rendus compte que ce CD-ROM serait un échec. Le projet a donc été complètement modifié, s'orientant vers la réalisation d'un véritable jeu vidéo : L'Amerzone, reprenant l'univers d'une aventure de Canardo de 1986 elle-même intitulée "L'Amerzone".
Étant donné que le projet est passé en 1995 de simple CD-ROM à jeu vidéo, je me demandais si l'idée d'adapter en jeu vidéo la BD "L'Amerzone" des aventures de Canardo avait été immédiatement envisagée, ou si d'autres idées d'adaptation étaient venues à l'esprit de Sokal. Réponse : il n'y a pas eu d'hésitations. Benoît Sokal avait inventé l'univers de L'Amerzone au milieu des années 1980, et l'avait donc mis en scène dans une aventure de Canardo. Cependant, Sokal m'a expliqué qu'il avait alors à cœur de revenir un jour ou l'autre vers l'univers très riche de l'Amerzone qu'il avait imaginé, et qu'il trouvait trop peu développé dans la BD de Canardo. Ainsi, lorsque le projet de CD-ROM s'est transformé en projet de jeu vidéo en 1995, l'idée d'y développer le "pitch" de L'Amerzone inventé 10 ans plus tôt s'est imposé comme une évidence.

Chose beaucoup moins connue, le scénariste de bandes dessinées Benoît Peeters a aussi participé de manière très brève au projet dans les tous premiers temps, mais a très rapidement quitté la petite équipe. Sa contribution au jeu a donc été sympathique et enrichissante mais "non significative" dans le projet final d'après les termes de Benoît Sokal au téléphone.
Le développement du jeu a été parsemé d'embuches. Le budget de départ a été nettement dépassé, Casterman n’allait pas très bien à l’époque et l'éditeur Microfolie's qui avait rejoint le projet en 1997 a lui véritablement coulé en 1998, mais fort heureusement Microïds a racheté le petit éditeur et a continué à financer le projet pendant la dernière année du développement.
A partir de 1996, d'autres personnes provenant de l'école SupInfoCom de Valenciennes sont venues se greffer à l'équipe pour suppléer Benoît Sokal dans la réalisation du jeu. Ces personnes sont donc à différencier de l'équipe du studio belge nommé "Grid" qui s'est, lui, occupé des cinématiques et des animations des personnages nécessaires à la réalisation de ces cinématiques.
Concernant les musiques et les doublages du jeu, tout a été réalisé dans le studio KBP (Knockin' Boots Productions). La musique est de Nicholas Varley sous la direction de Dimitry Bodiansky. Quant aux doublages, les crédits du jeu mentionnent les acteurs français sans préciser pour quel personnage ils ont prêté leurs voix. J'ai donc dû contacter Guillaume Lénel (ingénieur du son chez KBP) pour savoir quel personnage était doublé par chaque acteur. La réponse est la suivante :
Alexandre Valembois : Michel Barbey
Antonio Alvarez : Marc Moro
David Mackowski : Luc Gentil
Narratrice (scène finale) : Françoise Cadol
Facteur (scène d'ouverture) : Hubert Drac
On retrouve la voix de la plupart de ces acteurs dans les autres jeux de Benoît Sokal que sont Syberia (1 & 2), Paradise et L'Ile Noyée.
A la sortie du jeu, Casterman et Microïds ne croyaient plus tellement dans le jeu. Dans ces studios, tout le monde s'accorde à dire que les images du jeu sont très belles, mais cela n'est pas forcément synonyme de succès. Et pourtant ! A sa sortie, le jeu est très rapidement un succès retentissant. Les critiques sont souvent très positives. Benoît Sokal m'a expliqué que par-dessus tout, le plus extraordinaire a été le fait que la presse généraliste (Télérama, Libération etc) aient publié des critiques "dithyrambiques" du jeu. L'Amerzone est enfin récompensé par un prix au festival Imagina en 1999, ce qui joue en France un rôle de détonateur pour le succès du jeu. L'aventure se termine donc de la plus belle des manières...
White Birds Productions
Epok nous annonçait il y a un mois la faillite du studio White Birds Productions, dont Benoît Sokal a été l'un des fondateurs avec Jean-Philippe Messian, Olivier Fontenay et Michel Bams. Nous avons donc discuté de ce studio.
White Birds a été créé suite au licenciement d'un certain nombre de personnes travaillant chez Microids, qui ont gardé l'envie de travailler ensemble. C'est au sein de cette structure que Benoît Sokal a pu réaliser Paradise (sorti en 2006) et L'Île Noyée (sorti en 2007).
Cependant, dès le début, le petit studio disposait de budgets assez faibles. Sokal m'a expliqué que Paradise a souffert d'un manque de moyens et de temps ce qui a mené à la présence de quelques "bugs" dans le jeu, très décriés par les critiques. "White Birds n'était peut-être pas, avec le recul, la structure la mieux adaptée pour ce projet", m'a confié Benoît Sokal.
Déjà en difficultés après quelques années, White Birds s'est tourné vers le portage de ses propres jeux sur de nouveaux supports plutôt que de lancer de nouveaux projets lourds. Benoît Sokal, ne trouvant plus vraiment sa place dans le studio, s'en est alors beaucoup éloigné pour garder sa pleine liberté d'auteur. La faillite du studio n'a donc pas d'impact important sur ses projets personnels. Cette faillite s'explique en grande partie par la crise économique qui a touché tous les secteurs ces 2 ou 3 dernières années.
Projets...
Les projets de Benoît Sokal sont désormais davantage orientés vers la bande dessinée que le jeu vidéo. Cela méritait quelques questions relatives à certains de ses projets que l'auteur avait évoqués dans diverses interviews disponibles sur le net.
Les amateurs de L'Île noyée ont peut-être entendu parler du fait que Sokal avait prévu de réaliser une seconde aventure mettant en scène Jack Norm dans une enquête prenant place dans un théâtre de Broadway. Malheureusement, ce projet a été abandonné.
Dans une interview datant de 2007, Benoît Sokal avait évoqué l’idée de réaliser un jour un "simulateur d'oiseau" pour PC. Ce projet a en lui-même été abandonné, mais a été en quelque sorte recyclé dans la dernière bande dessinée de Sokal, intitulée "Kraa" (un premier épisode est sorti en septembre 2010, un second est à venir, il ne s'agit pas d'une aventure de Canardo).
Autre projet de Sokal, en collaboration avec François Schuiten : "Aquarica", qui devait à l'origine constituer un film ainsi qu'un jeu vidéo. Ce projet est actuellement en "stand by", m'a confié Sokal.
Enfin, cher lecteur, vous devez penser au projet Syberia 3, dont on entend parler de plus en plus et qui, aux dernières nouvelles, devait sortir début 2012. Eh bien préparez-vous à une grande claque : pour l'instant rien n'a été lancé concernant Syberia 3 ! En réalité, Anuman Interactive a bien l'intention de développer ce jeu, de même que Benoît Sokal est intéressé par ce projet, mais l'éternel problème du manque d'investissement bloque sa mise en route. Pour Benoît Sokal, Syberia 3 ne peut pas réutiliser les mêmes technologies que Syberia 1 ou Syberia 2, car bien que cela satisferait les amateurs de jeux d'aventure purs et durs, l'ancienneté de ces technologies aboutiraient à un flop commercial. Pour Syberia 3, Benoît Sokal veut des graphismes splendides et de la 3D. Pour vous faire une idée, Sokal a évoqué au bout du fil des graphismes aussi époustouflants que ceux du jeu Assassin's Creed. Or, une telle réalisation nécessite un budget très conséquent, pour l'instant hors de portée. Rien n'a donc encore été fait pour Syberia 3, pas même un début de scénario. "Syberia 3 n'est pas pour un futur proche", a résumé Benoît Sokal. Conclusion : il faudra sans doute être très patient avant de retrouver Kate Walker dans une nouvelle aventure... A moins qu’elle ne poursuive ses aventures en bande dessinée ou au cinéma...
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