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20 ans plus tard : Retour sur l'île mystérieuse
par Xavier Bargue  |  12.11.2025  |  Article

Retour sur l'île mystérieuse.


Vous souvenez-vous de « l'année Jules Verne » ? C'était en 2005, pour le centenaire du décès du célèbre écrivain. Nous avions alors 20 ans de moins qu'aujourd'hui – nous étions jeunes et beaux. Et surtout, nous avions régulièrement un nouveau jeu d'aventure « Jules Verne » à découvrir.

Kheops Studio sortait cette année-là « Retour sur l'île mystérieuse » – le 15 janvier 2005 en France – ainsi que « Voyage au cœur de la Lune » – le 30 septembre. De son côté, Frogwares sortait « 80 Jours » le 4 novembre. Certes, la thématique « Jules Verne » n'était pas totalement nouvelle, puisque Cryo avait déjà sorti « Le Secret du Nautilus » en 2002 et Frogwares « Voyage au Centre de la Terre » en 2003. Mais la parenthèse Jules Verne des années 2000 s'est vite refermée : après la sortie de « Retour sur l'île mystérieuse 2 » en 2009, plus rien pendant de longues années ! Il aura fallu attendre la sortie de « Verne: The Shape of Fantasy » en 2023 pour retrouver un jeu d'aventure se déroulant dans ce même univers.

Pour fêter les 20 ans de cette fameuse année Jules Verne, nous avons choisi de nous replonger dans « Retour sur l'île mystérieuse ». Un jeu qui, de nos jours, s'achète pour une poignée d'euros sur Steam ou GOG.com. C'est parti pour un article spécial retrogaming !

NB : Pour éviter de terribles spoilers, nous vous recommandons d'avoir joué au jeu, et idéalement d'avoir lu « L'Île mystérieuse » de Jules Verne... seulement 800 pages à lire, allez un petit effort !

Un jeu typique de Kheops Studio


De nos jours, jouer à « Retour sur l'île mystérieuse », c'est d'abord se replonger dans le style très caractéristique des jeux de Kheops Studio.



Niveau scénario, le studio était réputé pour ses jeux « culturels », la plupart d'entre eux se déroulant dans des périodes clés de l'Histoire (« Cléopâtre », « Au cœur de Lascaux », « The Secrets of Da Vinci »), un peu dans la veine des jeux de Cryo. Certes, « Retour sur l'île mystérieuse » se déroule quant à lui à l'époque contemporaine, mais son scénario reste fortement lié à celui du roman « L'Île mystérieuse », dont l'action se déroule au début des années 1860. De quoi cocher les cases en matière de jeu « culturel et historique ».

Niveau gameplay, on retrouve ici l'incontournable vue à la première personne présente dans tous les jeux du développeur – toujours agrémentée d'un joli curseur central – ainsi qu'un gigantesque inventaire permettant de stocker autant de choses que dans un camion de déménagement, grande caractéristique des jeux Kheops. L'inventaire se compose ici de 8 onglets de 28 cases chacun : de quoi accumuler, en théorie, jusqu'à 224 objets dans les poches de l'héroïne !


Toujours utile d'avoir dans ses poches une dizaine de briques, deux caisses de charbon, des centaines de billes d'acier, un alambic, trois cordes, deux chemises et une combinaison de plongée... au cas où !


L'héroïne, en l'occurrence, se prénomme Mina. Lorsque le jeu commence, celle-ci se réveille sur une île déserte, rescapée d'un naufrage alors qu'elle tentait un tour du monde à la voile en solitaire. Première tâche à accomplir : trouver à manger. Deuxième étape : explorer l'île. Troisième étape : s'échapper de là !



Mais s'agit-il vraiment d'une île déserte ? Dès ses premiers pas sur le sable de la plage, l'héroïne pense apercevoir la silhouette fantomatique d'un homme perché sur une falaise. Ce sentiment d'une « autre présence » sur l'île constitue le premier lien direct entre le jeu et le roman d'origine. Dans ce dernier, les naufragés – Cyrus Smith, Gédéon Spilett, Pencroff, Harbert, Nab, accompagnés du chien Top – sont persuadés qu'au moins une autre personne est présente sur l'île.



Une véritable « suite » de L'Île mystérieuse


Tout au long de l'aventure de Mina, les parallèles avec le roman se multiplient. À commencer par l'étape initiale de la survie. Comme les cinq naufragés qui l'ont précédée, Mina commence par aller dénicher des fruits de mer sur les rochers et des œufs d'oiseaux pour reprendre des forces. Elle apprend aussi à faire du feu, sujet causant bien du souci aux personnages du roman.



Après quoi, l'héroïne apprivoise un singe, de même que les personnages de Jules Verne adoptent Jup, un orang-outan qui les aide dans leurs tâches et leur fait même la cuisine.



D'autres singes sont présents sur l'île, mais sont quant à eux beaucoup plus retors : dans le jeu comme dans le roman, l'un d'entre eux prendra un malin plaisir à décrocher l'échelle de corde permettant d'accéder à « Granite House », grotte perchée dans les hauteurs de l'île.


Sale bête, mon échelle de corde ! Viens là que je t'attrape !


La découverte de Granite House dans le jeu vidéo est d'ailleurs un véritable moment d'émotion pour toute personne ayant lu le roman de Jules Verne. C'est un peu comme si un fan de Harry Potter jouait à un jeu vidéo se déroulant en Écosse, dans lequel le personnage découvrait, un peu par hasard, le château de Poudlard. L'émotion de cette séquence tient au fait que beaucoup d'éléments découverts par Mina dans Granite House correspondent aux descriptions du roman : les fenêtres taillées dans la roche, les canons installés pour défendre le lieu après l'attaque des pirates, le matériel de chimie de l'ingénieur Cyrus Smith, la trappe permettant de descendre dans une mystérieuse cavité remplie d'eau, ou encore la carte de l'île dessinée par Harbert.


Granite House dans le jeu.



La carte de l'île, identique à celle du roman.


On notera que la grotte du jeu reste bien plus petite que celle décrite par Jules Verne – tout comme l'ensemble de l'île, infiniment plus grande dans le roman, puisque les personnages mettent à l'origine plusieurs années pour la parcourir de long en large.

Les développeurs ont d'ailleurs ajouté dans Granite House un ancien projecteur permettant à Mina de découvrir quelques images des quatre années que ses prédécesseurs ont passées sur l'île – correspondant aux illustrations de l'édition d'origine de L'Île mystérieuse.


Une illustration de L'Ile mystérieuse que Mina peut voir en faisant marcher le projecteur de Granite House, la renseignant sur l'histoire des précédents naufragés.


Mais la découverte de Granite House est aussi une énorme surprise pour le joueur, qui a ainsi la preuve d'être sur la même « île mystérieuse » que celle du roman de Jules Verne... chose dont on pouvait initialement douter puisque – attention, très gros spoiler – cette île ne peut en théorie plus exister, ayant été brutalement rayée de la carte par une explosion volcanique à la fin du roman. Dès lors, le joueur-lecteur est troublé, puisque le roman et le jeu ne semblent pas « scénaristiquement compatibles ». Il faudra attendre la fin du jeu pour avoir une réponse à ce problème.

Avant d'en arriver là, le joueur continue de multiplier les « tâches parallèles » vis-à-vis du roman d'origine. Mina répare notamment le four et le moulin construits par Smith, Spilett, Pencroff, Nab et Harbert, rappelant la séquence où les personnages du roman doivent effectuer d'importantes réparations après le triste passage des pirates. Avec la même technique de Cyrus Smith 150 ans plus tôt, Mina parvient également à mettre au point une pile électrique, qui lui permet ici de recharger sa montre « high tech » pour reprendre contact avec le monde extérieur – bien que la communication reste brouillée dans un premier temps.

Arrive la séquence finale du jeu, avec la découverte du Nautilus. Tout comme dans le roman, le célèbre sous-marin du capitaine Nemo est caché sous l'île. Dans l'intrigue d'origine, Nemo y meurt peu avant que l'île explose. Mais dans le jeu, Mina découvre la dépouille du capitaine dans Granite House et décide de lui construire une sépulture sur la plage. Le Nautilus a quant à lui été « sécurisé » par son ancien propriétaire pour empêcher tout intrus d'y entrer.


Le Nautilus tel que représenté dans le jeu.


Après bien des difficultés pour vaincre la sécurité permettant d'entrer dans le sous-marin, le joueur aboutira à la révélation finale réconciliant le scénario du roman avec celui du jeu. Et c'est un scoop : l'île n'aurait tout simplement jamais explosé ! Mina découvre en effet dans le Nautilus une lettre de Jules Verne adressée au capitaine Nemo, dans laquelle le romancier explique avoir donné à son roman une fausse fin tragique pour permettre à Nemo de continuer à vivre en paix après le départ de Smith, Nab, Pencroff, Spillett et Harbert. Les lecteurs étant persuadés que l'île n'existe plus, aucun curieux n'est jamais venu s'aventurer dans cette zone du globe, et Nemo a pu vivre des jours heureux en s'installant dès lors à Granite House.

Le jeu constitue donc non seulement une suite finalement compatible avec celle du roman, mais s'amuse à mêler fiction et réalité en imaginant une correspondance entre l'auteur et son propre personnage pour préserver le secret de l'île. Belle trouvaille de la part des développeurs : qu'on les applaudisse bien fort, même 20 ans trop tard !


Un exemplaire de l'édition d'origine de L'Ile mystérieuse, trouvé par Mina dans le Nautilus.



Une lettre trouvée par Mina dans le Nautilus, dans laquelle Jules Verne explique avoir donné à son roman une fin tragique pour que ses lecteurs pensent, à tort, que Nemo et son île n'existent plus.


Mina découvre également que Nemo, avant de mourir, a doté l'île d'un système de brouillage rendant l'île invisible de l'extérieur et empêchant toute communication – d'où son incapacité à appeler les secours. L'héroïne finit par désactiver ce système et parvient à établir une communication avec l'extérieur pour qu'un hélicoptère vienne la chercher.

Dans les pas de L'Amerzone


Pour terminer cet article, soulignons enfin l'existence de quelques points communs intéressants entre Retour sur l'île mystérieuse et L'Amerzone, paru quelques années plus tôt (1999).

Dans les deux œuvres, l'action se déroule en effet à l'époque moderne et consiste, pour le joueur, à marcher sur les traces de précédents explorateurs ayant vécu cette même aventure dans un passé lointain (Valembois, Mackowski et Alvarez dans L'Amerzone ; les cinq naufragés du roman de Jules Verne dans Retour sur l'île mystérieuse). Le joueur découvre au fur et à mesure de son aventure des carnets ou des notes laissés par les « aventuriers pionniers » (désormais décédés ou en fin de vie) pour suivre leurs pas. Les deux jeux se déroulent dans un endroit imaginaire de l'hémisphère sud où l'abondance de la végétation a pris le pas sur les constructions humaines en décrépitude. Tous les ingrédients pour un jeu d'aventure réussi !


Un petit air d'Amerzone... mais sans les animaux fantastiques de Sokal !


Pour compléter la lecture de cet article, nous vous recommandons le visionnage de cette vidéo d'analyse réalisée en 2019 par la chaîne Youtube « LittJV » dédiée aux liens entre littérature et jeux vidéo, avec ici un épisode consacré à « Retour sur l'île mystérieuse » :