40 ans après : que racontait le jeu « Sherlock Holmes: Another Bow » ?
par Xavier Bargue | 03.07.2025 | Article

Écran d'accueil de Sherlock Holmes: Another Bow (MS-DOS).
En 1985 sortait le jeu « Sherlock Holmes: Another Bow » sur DOS, Apple II et Commodore 64. Une aventure textuelle typique des années 80, dans laquelle le joueur évoluait en tapant à l'écran les actions qu'il souhaitait effectuer (« talk to captain », « go to dining room », etc). Luxe pour l'époque : le jeu s'accompagnait d'illustrations en 4 couleurs pour réduire l'austérité de l'interface.
Autre caractéristique de cette « fiction interactive » : le jeu débutait au « chapitre 4 » de l'aventure... les trois premiers chapitres étant, quant à eux, à lire dans le manuel du jeu. Une façon de passer de l'écrit à l'écran, mais aussi de disposer d'une protection anti-piratage efficace ! Le jeu d'origine était donc livré avec un manuel relativement épais, mais aussi avec le plan détaillé d'un bateau de croisière sur trois étages, constituant le cadre de l'aventure.

Le début du chapitre 1 dans le manuel du jeu.
L'intrigue se déroule en effet à bord d'un paquebot traversant l'Atlantique pour amener Sherlock Holmes et le docteur Watson jusqu'aux États-Unis. À bord : de nombreuses célébrités, parmi lesquelles on citera Conan Doyle lui-même, mais aussi Harry Houdini, Picasso ou encore Lawrence d'Arabie. Rien que ça !
À l'occasion des 40 du jeu, et parce qu'aucun joueur ni aucun holmésien normalement constitué n'aura de nos jours l'envie de se replonger dans une aventure textuelle en anglais sous MS-DOS, nous avons décidé de le faire pour vous. Au programme : un jeu rempli de références au Canon holmésien... mais également un scénario particulièrement alambiqué !
Un point de départ peu commun : Holmes aurait un fils caché !
L'intrigue démarre donc par une bonne heure de lecture du manuel du jeu, indispensable pour comprendre le contexte de l'intrigue et la raison pour laquelle Holmes et Watson se retrouvent embarqués dans une croisière à destination de New York.
L'aventure se déroule en juin 1919. Avec l'arrivée des beaux jours, Violet Watson propose à son mari, le Dr Watson, de partir en vacances en Italie à Portofino. Problème : Violet souhaite également convier sa sœur, désormais veuve. Le bon docteur exprime son faible enthousiasme à l'idée d'être accompagné en vacances par sa belle-sœur, et son épouse se venge en lui faisant « accidentellement » tomber le petit déjeuner (œuf et jambon) sur les genoux. Watson préfère sortir de chez lui pour échapper à sa vie de couple devenue tumultueuse après 17 ans de mariage. On notera à ce sujet que les auteurs du jeu avaient le souci du détail holmésien. Violet Watson est désignée comme étant l'ex-fiancée du baron Gruner : il s'agit donc de Violet de Merville, sauvée par Holmes dans l'aventure de L'Illustre Client qui se déroule en 1902 – une date cohérente avec les « 17 ans de mariage » de Watson. Quant à la première épouse de Watson, Mary Morstan, la pauvre femme est décédée depuis longtemps.
À l'heure du déjeuner, Watson retrouve son agent littéraire, Sir Arthur Conan Doyle, encore très affecté par la récente perte de son fils Kingsley à la guerre, et de son frère Innes frappé par la grippe espagnole. Malgré ses malheurs, Sir Arthur a un nouveau projet dont il souhaite s'entretenir avec Watson. En effet, l'acteur américain William Gillette souhaite de nouveau jouer aux États-Unis la pièce de théâtre « Sherlock Holmes », 20 ans après sa création initiale. Le producteur de la pièce, Isidore Doubleman, souhaiterait à cette occasion publier les diverses monographies de Sherlock Holmes, dont celle écrite au sujet de l'identification des cendres de tabac. Le but : raviver l'intérêt du public pour le détective, qui passe désormais ses vieux jours dans les Downs au milieu de ses abeilles. William Gillette et Doubleman, de passage au Royaume-Uni, embarqueront dans deux jours à bord du Destiny en partance pour New York. Conan Doyle sera également à bord et souhaiterait que Watson et Holmes soient du voyage.
Autre argument de poids pour convaincre Holmes de la nécessité de se rendre en Amérique : Conan Doyle a récemment reçu une lettre d'un dénommé Jeffrey Adler, fils d'Irene Adler, affirmant que Sherlock Holmes est son père et qu'il a désormais besoin de son aide pour faire face à la précarité qui le frappe depuis le décès de sa mère. Jeffrey vit dans le New Jersey. Conan Doyle, tout comme Watson, sont stupéfaits d'apprendre que leur ami pourrait avoir un fils caché.
Ni une ni deux, Watson saute sur l'occasion pour laisser de côté le projet de vacances à Portofino. Le bon docteur échappe ainsi à sa belle-sœur, mais également aux reproches de sa femme, qui conserve un éternel respect envers Sherlock Holmes et accepte volontiers que son mari parte en voyage avec son vieil ami. Reste à convaincre Sherlock Holmes lui-même. Watson se rend en voiture dans les Downs. L'accueil de l'ancien détective est des plus amicaux, bien que sans exubérance. Watson lui fait part des projets de Conan Doyle et lui montre la lettre de Jeffrey Adler. Holmes découvre également qu'il aurait un fils et se demande si la lettre ne serait pas un faux. Watson évoque l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'un piège tendu par Moriarty. Après une nuit de réflexion, Holmes accepte finalement de prendre part au voyage.
Le lendemain, Holmes et Watson embarquent sur le Destiny en compagnie de Conan Doyle accompagné de son épouse, de William Gillette, de Mr et Mrs Doubleman, mais aussi d'un grand nombre de célébrités : Harry Houdini, Lawrence d'Arabie, Picasso, Henry Ford, les inventeurs Thomas Edison et Graham Bell ou encore le Baron de Rothschild. Watson note également la présence, à bord du bâtiment, d'un homme au visage « reptilien » se déplaçant en chaise roulante, sans parvenir à l'identifier. Holmes n'est d'aucune utilité sur ce point, sa vue étant désormais trop basse pour qu'il puisse voir distinctement le visage de l'homme en question. Fin du troisième chapitre : le joueur peut enfin reposer son manuel et allumer son PC...
The Game Is Afoot !
Pas le temps de dire ouf : l'enquête démarre d'entrée de jeu par un meurtre. Holmes et Watson, qui partagent la même cabine, sont réveillés en pleine nuit par un membre de l'équipage pour aller jeter un œil au cadavre du général Ryan, retrouvé pendu. S'ensuit l'annonce de la terrible nouvelle à la femme du défunt, qui s'évanouit sur le champ, puis au Lieutenant Jenkins, adjudant du général, également choqué par la nouvelle. Tout porte à croire à un suicide, mais Holmes observe que le défunt porte une petite marque au cou, probablement laissée par une aiguille. On l'aura compris : c'est un meurtre. Le lendemain matin, le détective et son acolyte remarquent que Mrs Ryan et le Lieutenant Jenkins semblent particulièrement proches. Auraient-ils convenu de se débarrasser du général pour sceller leur union ? À ce stade, mystère et boule de gomme.

La découverte du cadavre du général Ryan.
Un nouvel incident ne tarde pas à survenir : « Un homme à la mer ! » s'écrie le capitaine du bateau. Holmes est le premier à s'emparer d'une bouée de sauvetage qu'il jette en direction du naufragé. Celui-ci parvient à être secouru. Il s'agit de l'illustre Lawrence d'Arabie. « J'ai glissé » affirme simplement le militaire rescapé. Au même moment, un marin accourt pour prévenir qu'une dispute vient d'éclater dans le salon. Holmes s'y rend immédiatement : Henry Ford invective le Baron de Rothschild en raison de sa confession juive (cf. fiche Wikipédia de Henry Ford pour plus d'informations sur ses opinions politiques). Ambiance à bord !
Au gré de leurs pérégrinations, Holmes et Watson croisent le couple Doyle, qui s'entretient notamment de spiritisme avec Mrs Doubleman. Une séance de communication avec les morts aura même lieu peu de temps après avec la pauvre femme, qui semble très nerveuse et très crédule à l'égard de cette méthode. Le soir-même, les deux amis assistent à une lecture du Ruban moucheté réalisée par William Gillette, qui rencontre un grand succès auprès de l'auditoire. Watson frissonne à l'évocation des événements survenus près de 30 ans plus tôt au manoir du terrible Grimesby Roylott. Pendant ce temps, l'enquête sur la mort du général Ryan n'avance guère.
La nuit suivante, un claquement de porte réveille Holmes et Watson. Sortant de leur chambre, ils découvrent qu'un dénommé Garson semble se déplacer nerveusement dans les couloirs. Holmes décide d'aller lui parler : l'homme est dérangé par cette rencontre et retourne finalement dans sa chambre. L'incident en reste là.
Le lendemain matin, nouveau coup de théâtre : Holmes et Watson, qui se promenaient sur l'un des ponts du navire, sauvent de nouveau Lawrence d'Arabie d'une mort certaine en lui évitant d'être écrasé par un canot de sauvetage libéré de ses cordes par un mystérieux homme vêtu d'une cape noire. L'inconnu parvient à fuir sans être rattrapé. Quelqu'un semble en vouloir aux militaires présents sur le bateau.

Le colonel Lawrence sauvé pour la deuxième fois.
Peu de temps sera nécessaire pour en savoir plus : le soir-même, Lawrence d'Arabie est victime d'une nouvelle agression de la part de l'homme à la cape noire. Ce dernier parvient à s'approcher de sa victime et brandit une dague en criant « Longue vie à l'Empire ottoman ! ». Holmes et Watson parviennent à faire échouer cette tentative de meurtre ; la narration est confuse mais une chose est sûre : en cherchant à attraper le meurtrier, celui-ci s'échappe et, se sachant perdu, préfère se suicider en sautant à la mer. Malgré ce dénouement abrupt, aucun lien ne semble réellement lier cette affaire à celle du meurtre du général Ryan. Un autre meurtrier doit donc encore être démasqué.
Au cours de la nuit suivante, Holmes et Watson sont de nouveau réveillés par un claquement de porte : il s'agit toujours des allers et venues de Mr Garson, qui se dirige vers le bureau du télégraphe. Holmes le dérange de nouveau en venant lui parler : Garson affirme être venu chercher un télégramme urgent pour M. Ford, mais le bureau étant fermé, il repart dans sa chambre. Au cours de leurs déambulations nocturnes, Holmes et Watson observent également que l'une des croisiéristes, une jeune femme asiatique du nom de Miss Kim Lee, semble en admiration devant la galerie des peintures exposées à bord.
Le lendemain, malgré une traversée déjà bien mouvementée, un nouvel incident survient. Un marin vient chercher Holmes et Watson pour qu'ils se rendent à la cabine du capitaine. Celui-ci est dans l'embarras : un diamant appartenant à un couple de croisiéristes (les Smythe) a été volé sur le bateau. Il faut le retrouver, et Holmes est chargé d'enquêter. Pour autant, le détective reste concentré sur le cas du dénommé Garson, qu'il surprend à nouveau en train d'envoyer un télégramme suspect. En déchiffrant le bruit du télégraphe, le détective constate que Garson a envoyé le message « Open Sesame » à un destinataire inconnu. Watson remarque par ailleurs que Garson, de plus en plus antipathique, semble désormais les suivre à son tour. Des recherches menées dans la journée sur l'expression « Open Sesame » convainquent Holmes que Garson a signalé à son correspondant, par ce message codé, qu'il détenait le butin d'un vol.
Au cours du déjeuner, Holmes et Watson observent que Mrs Doubleman, décidément très nerveuse depuis le début du trajet, quitte la salle à manger en sanglots en se dirigeant vers sa chambre. Les deux amis décident d'aller vérifier si tout va bien. La porte de la chambre de Mrs Doubleman est restée ouverte, mais la pièce est vide. Dans un tiroir de commode est découverte une lettre de son fils, Eddie Doubleman, parti faire la guerre en Europe où il a finalement trouvé la mort. Le jeune homme était confiant et s'attendait à une guerre rapide, mais se méfiait de la stupidité des officiers. Watson en déduit que Mrs Doubleman a tué le général Ryan pour venger son fils. Ceci expliquerait la nervosité de la pauvre femme, mais également son attachement aux séances de spiritisme animées par les Doyle. Holmes ne confirme pas cette hypothèse dans l'immédiat.

La découverte de la lettre d'Eddie Doubleman.
Peu après, les deux amis croisent Mrs Ryan, la femme du général assassiné. Celle-ci est en compagnie du Lieutenant Jenkins et aborde clairement cette relation face au détective : oui, elle aimait le Lieutenant et détestait son mari, qui n'avait aucun scrupule à mener de jeunes soldats à la mort, mais elle ne l'a pas tué. Watson est persuadé que cette déclaration est parfaitement exacte. Holmes, encore une fois, ne bronche pas.
Le soir, un nouveau spectacle est prévu pour distraire les croisiéristes. Holmes et Watson s'y rendent, mais sont interpellés sur le trajet par un jeune homme du nom de Tareyton, qui semblent paniqué. Le garçon avoue à Holmes être l'auteur du vol du diamant des Smythe, mais la situation lui échappe désormais totalement. Il aurait commis le vol pour impressionner son père, et aurait caché le diamant dans une poche du cadavre du général Ryan, désormais enfermé dans une chambre froide. Mais après avoir commis ce méfait, le jeune homme aurait reçu une lettre de menaces anonyme lui affirmant que s'il essayait de récupérer le diamant, la véritable situation de son père (un joueur invétéré, incapable de diriger l'entreprise familiale) serait rendue publique. Le jeune Tareyton craint désormais pour l'honneur de sa famille. Holmes, avec une remarquable nonchalance, préfère aller regarder le spectacle du soir et laisse de côté cette affaire de voleur volé.
Après le spectacle, Holmes et Watson assistent à une dispute entre Picasso et une dénommée Miss Stein. Cette dernière explique à Holmes que plusieurs tableaux exposés dans la galerie du bateau sont des faux. Quelques soupçons portent sur Miss Kim Lee, malgré un désaccord à ce sujet. Pour en avoir le cœur net, Holmes et Watson se rendent à la galerie, au moment-même où Kim Lee vole une toile de Matisse pour la remplacer par une copie. Prise sur le fait, la jeune femme affirme qu'elle agit sur ordre de son père et d'un dénommé Renaldo Berens. Toutes les toiles originales sont dans leur cabine. Holmes, Watson et Miss Lee se rendent à ladite cabine, où ils sont toutefois accueillis par Renaldo, qui pointe son revolver vers eux. Holmes se débarrasse de ce dangereux personnage en lui jetant un couteau à la poitrine, mais Renaldo, avant de succomber à ce coup fatal, fait feu et tue Miss Lee. Ce qui fait donc deux cadavres de plus au compteur. Holmes et Watson partent prévenir le capitaine de cette petite bavure, et celui-ci leur répond poliment que des membres de l'équipage vont s'occuper des corps. Merci monsieur, bien aimable à vous.

Scénario alternatif : en cas de faux pas face à Renaldo Berens, Holmes est gravement blessé
et le jeu aboutit à un game over.
La soirée n'est toutefois pas encore terminée. Holmes reste focalisé sur le cas de Garson et a bien l'intention de coincer ce mystérieux adversaire. Autant prendre les devants cette fois-ci : lui et le Dr Watson se rendent directement au bureau du télégraphe et s'y cachent. Ils ne tardent pas à voir apparaître Garson, qui fait partir un télégramme en allemand d'après un déchiffrage réalisé par Watson à partir des bruits de la machine. Le mystérieux personnage ne tarde pas à recevoir une réponse : « Close Sesame ». C'en est assez pour Holmes, qui décide de l'arrêter avec l'aide de Watson. Bouillant de rage, Garson affirme que l'Allemagne se relèvera bientôt de sa défaite et régnera sur le monde en le débarrassant des Juifs. « Mon dieu, cet homme est encore plus fou que Von Bork » fait remarquer Watson à Holmes, allusion à la nouvelle Son dernier coup d'archet. Garson leur dévoile également sa véritable identité : Josef Garheim. L'espion allemand est mené au capitaine du navire, qui l'enferme dans une chambre. Après une journée que l'on qualifiera de bien remplie, Holmes et Watson partent enfin dormir.

L'arrestation de Garson / Garheim.
Le lendemain, après le déjeuner, un musicien de l'équipage vient voir Holmes et Watson pour leur parler discrètement. L'homme leur donne des renseignements sur Mrs Doubleman, qu'il a connue quelques années plus tôt à la Nouvelle-Orléans. Celle-ci serait notamment une consommatrice de cocaïne. Holmes souhaite retrouver la pauvre femme, non pas pour fonder une amicale de cocaïnomanes comme on pourrait le penser, mais pour « la sauver d'elle-même ». En arrivant devant sa cabine, Holmes et Watson tombent sur une scène étonnante : un serpent venimeux a été libéré de sa cage et s'apprête à attaquer Mrs Doubleman. Holmes tue le serpent en le frappant à coups de canne, le détective étant coutumier du fait depuis la fameuse aventure du Ruban moucheté. Mrs Doubleman, en pleurs, avoue avoir tué le général Ryan pour venger son fils en lui injectant du venin de serpent dans le cou à l'aide d'une seringue qu'elle utilise habituellement pour s'injecter de la cocaïne. Elle s'apprêtait à faire de même envers elle-même pour mettre un terme à ses souffrances. On admirera l'incongruité d'un tel mode opératoire. Bien que sauvée d'une mort immédiate, Mrs Doubleman est désormais bonne pour la potence.
Holmes et Watson partent prévenir le capitaine, fiers de compléter leur collection de criminels arrêtés à bord. Une scène surprenante les attend toutefois : le capitaine se trouve en compagnie de Woodrow Wilson, président des États-Unis, Lloyd George, premier ministre du Royaume-Uni et George Clémenceau, président français. Les trois hommes d'État étaient cachés sur le bateau depuis le départ. « Une seconde conférence de paix s'est tenue sur le Destiny » commente Watson. Wilson félicite Holmes et Watson pour l'arrestation de l'espion Garheim, mais affirme que le Destiny est suivi par des sous-marins et que le plan de paix négocié à Paris est mis en danger par des Russes, probablement aidés par une personne présente à bord. Mais qui ?
Peu pressés de déjouer le complot du siècle, Holmes et Watson, aidés d'Harry Houdini, partent rejoindre le jeune Tareyton pour récupérer le diamant volé. Les talents d'Houdini s'avèrent indispensables pour ouvrir la porte de la chambre froide où se trouve le cadavre du général Ryan. Les quatre hommes récupèrent ainsi le fameux diamant, mais n'ont pas le temps de s'en réjouir : un inconnu au-dehors profite de la situation pour les enfermer dans ce véritable frigo. Encore une fois, les connaissances d'Houdini en matière de serrurerie sont mises à profit pour parvenir à rouvrir la porte de l'intérieur et éviter une mort pénible par congélation.
Entre temps, le capitaine du navire s'est enfermé dans le bureau du télégraphe et ne veut plus en sortir. « Vous allez tous mourir ! » annonce-t-il avec rage à Holmes et Watson. Stupeur et tremblement : le capitaine était, depuis le départ, un espion russe œuvrant pour la cause bolchevique. Celui-ci a placé une bombe à retardement dans la soute du navire. Celle-ci explosera d'ici quelques minutes et le navire coulera, emmenant avec lui au fond de l'eau les trois hommes d'État, Sherlock Holmes et les nombreuses célébrités présentes à bord. Holmes sort sur le pont et constate qu'un sous-marin a fait surface, permettant au vieil homme en fauteuil roulant, observé par Watson au début de l'aventure, de s'échapper. Il s'agissait bien sûr de l'affreux Moriarty, finalement rescapé des chutes de Reichenbach ! Une autre personne est sur le point de s'échapper du navire en rejoignant le sous-marin : Cass Marks (Karl Marx au féminin ?), une jeune femme que Holmes et Watson ont pu voir en compagnie du capitaine au cours de l'aventure. Empêchant celle-ci de fuir, Holmes et Watson la ramènent auprès du capitaine. Horrifié à l'idée que sa bien-aimée meure avec lui, l'homme accepte de désamorcer la bombe.

Victoire finale : le capitaine désamorce la bombe.
Ce final rocambolesque permet au détective de « sauver le monde libre », comme l'affirme Watson. Un nouveau capitaine est envoyé par la US Navy pour conduire le navire jusqu'à bon port. Au cours de la dernière soirée à bord, Watson demande à Holmes s'il savait, depuis le début, que la lettre de son fils Jeffrey Adler était un faux de Moriarty pour l'attirer dans ce terrible piège. « La réponse était vraiment élémentaire, mon cher Watson » lui répond Holmes, sans plus de précision. On comprendra que même si pour Holmes, elle était LA femme, le célèbre détective n'a bel et bien jamais eu de relation cachée avec Irene Adler. L'ambiguïté était toutefois suffisante pour tromper Moriarty lui-même !
Un jeu particulièrement difficile, et plutôt frustrant
Que faut-il penser, en somme, de « Sherlock Holmes: Another Bow » ? Une chose tout d'abord : malgré ce résumé linéaire de l'intrigue, rien, dans ce jeu, n'est réellement linéaire. Le joueur, qui incarne Holmes, peut se déplacer à tout moment dans n'importe quelle pièce du bateau. D'innombrables personnages peuvent ainsi être rencontrés : plus de la moitié d'entre eux ne sont pas mentionnés dans cet article. Surtout, nous avons ici résumé l'aventure lorsque le joueur fait un sans faute, mais Holmes peut en réalité échouer à résoudre chacune des six enquêtes parallèles qu'il doit mener au cours du trajet :
- Qui a tué le général Ryan ?
- Qui essaie de tuer le colonel Lawrence ?
- Qui a volé le diamant des Smythe ?
- Qui vole des toiles dans la galerie ?
- Affaire d'espionnage allemand
- Affaire d'espionnage russe
On notera que toutes ces intrigues s'entrecroisent au fil du jeu et fonctionnent par pair : deux affaires de meurtre, deux affaires de vol, deux affaires d'espionnage, accentuant bien entendu le risque de fausses pistes. Ainsi, les agressions dont Lawrence d'Arabie est victime semblent d'abord liées au meurtre du général Ryan. De même, le vol du diamant semble longtemps associé aux télégrammes envoyés par Garson. Mais l'espion allemand n'a en réalité aucun lien évident avec ce méfait. On notera que l'identité du maître-chanteur dont est victime le jeune Tareyton reste incertaine, mais l'hypothèse la plus probable est qu'il s'agisse du capitaine du navire, qui parvient ainsi, avec beaucoup de chance, à enfermer Holmes, Watson, Tareyton et Houdini dans la chambre froide dont ils n'auraient jamais dû sortir vivants.
D'autres fausses pistes, non évoquées dans ce résumé, s'ajoutent encore à ce joyeux méli-mélo : pour n'en citer qu'une, signalons que certaines interrogations émergent au début du jeu sur l'attitude du chirurgien du bateau, ivre pendant le meurtre du général Ryan. Les silences répétés de Holmes face aux hypothèses formulées par Watson (souvent justes !) n'aident pas à savoir si certaines interprétations des faits sont correctes ou si la vérité se trouve ailleurs.
Pour toutes ces raisons, le jeu s'avère être d'une difficulté extrême. D'autant plus qu'il faut garder à l'esprit que tout se joue en tapant des instructions au clavier ! Et si certaines instructions sont évidentes (« take a walk » après que Watson ait déclaré « Holmes, we should take a walk »), d'autres sont impossibles à deviner, notamment lorsqu'il s'agit d'interagir avec des personnages pour leur donner des instructions. Un exemple parmi d'autres : lorsque Holmes se rend au cours de l'intrigue chez le marchand de tabac du navire (séquence non mentionnée dans notre résumé), il lui est possible d'obtenir un indice sur l'agresseur de Lawrence d'Arabie en tapant en toutes lettres « Tobacconist, please repair my pipe », ce qui amènera le marchand à parler du précédent client venu lui demander la même chose. Encore faut-il avoir l'idée de taper cette phrase en s'adressant directement au vendeur de tabac, qui reste muet si le joueur se contente de taper « talk to tobacconist »...
Plus généralement, le joueur peut facilement passer à côté de pans entiers du scénario en tapant de mauvaises instructions, ou en allant trop vite. Ce problème peut survenir dès le début du jeu : si, lorsque Holmes et Watson sont réveillés en pleine nuit par un membre de l'équipage, le joueur entre l'instruction « go to sleep » au lieu de « follow crewman », Holmes et Watson iront se recoucher et le joueur ratera entièrement la découverte de la première scène de crime. Il est même possible d'aboutir à un game over en tapant simplement « sleep » une quinzaine de fois de suite, ce qui fera défiler les nuits, matinées, après-midis et soirées sans que Holmes ne sorte jamais de sa cabine, et sans être mis au courant du moindre meurtre... jusqu'à l'explosion de la bombe dans la soute du bateau, causant son naufrage ! On notera qu'en cas de game over, Watson est l'un des seuls rescapés à pouvoir monter dans un canot de sauvetage, tandis que Holmes et les nombreuses célébrités à bord disparaissent avec le navire.

Ecran de game over : Watson est l'un des seuls rescapés.
Gare, également, au joueur qui aurait la mauvaise idée de formuler des instructions non reconnues par le système d'« interprétation syntaxique » du jeu. La plupart du temps, le joueur verra s'afficher cette réplique de Watson sur son écran : « What the devil are you talking about, Holmes ? », même lorsque l'instruction entrée au clavier était pourtant d'une limpidité exemplaire.
Parfois, le système peut même renvoyer des réponses illogiques, ce qui est le cas lorsque Holmes demande à parler à un personnage situé dans la même pièce que lui, mais que les développeurs n'ont pas prévu de conversation avec ce personnage à ce moment du jeu. Watson répond alors souvent à Holmes : « Rather unusual ». Étant donné le nombre de personnages à bord, autant chercher une aiguille dans une botte de foin pour savoir à qui parler au bon moment !! On notera malgré tout un trait d'humour parmi tous ces refus d'obtempérer, lorsque Watson répond parfois : « Holmes, you are speaking as confusedly as my dear Violet ». Misogynie mise à part, la réplique est drôle quand on sait que le mariage de Watson commence à battre de l'aile...

Faites un effort, Watson, je ne peux pas être plus clair...
De l'humour, on en retrouve d'ailleurs dans d'autres séquences du jeu. Comme lors d'une très improbable scène où Holmes et Watson peuvent suivre une dénommée Melissa jusque dans sa cabine. La jeune femme commence alors à se déshabiller pour s'occuper de Holmes, en précisant à Watson : « You, Dr Watson, may watch ». Le joueur est alors libre d'écrire l'instruction de son choix... mais attention : si Holmes se monte trop entreprenant, le père de la jeune femme surgira dans la chambre et fera passer un mauvais quart d'heure au détective, qui perdra une journée entière dans son enquête, le temps de retrouver ses esprits !

L'une des scènes les plus inattendues du jeu...

... pouvant causer de graves ennuis à Holmes !
On notera qu'au cours du jeu, Holmes agit finalement très peu, et que ce sont plutôt les autres personnages qui agissent à sa place. Au point que le détective n'enquête pas vraiment. Il ne fait qu'observer ce qui se déroule en intervenant de temps à autre, souvent maladroitement d'ailleurs : la mort de Miss Lee est provoquée par l'une des rares actions directes de Holmes, et le détective dérange deux fois Garson dans ses pérégrinations nocturnes en allant lui parler, alors qu'il aurait été plus intelligent de l'espionner dès la première nuit. Pire encore : une grande partie des instructions à entrer au cours du jeu pour avancer sont en réalité l'une des quatre suivantes : « go to dining room », « go to our room », « sleep » et « wait » (parfois « wait » répété deux fois pour rajouter un peu de difficulté, comme s'il n'y en avait pas assez !!). L'instruction « wait » permet de faire passer le temps en déclenchant souvent la survenue d'une nouvelle scène (un nouveau personnage vient à la rencontre de Holmes sans qu'il ait lui-même besoin de bouger de place). On mettra ce manque de dynamisme sur le compte de l'âge désormais avancé du détective (autour de 65 ans tout de même dans cette aventure).
De la même manière, on notera que le jeu a une étrange manière de bâcler systématiquement les séquences-clés de l'intrigue en passant tout de suite à autre chose, alors qu'on pourrait s'attendre à ce que Holmes ou Watson émettent d'intéressants commentaires. On prendra l'exemple de l'agression de Lawrence par l'homme à la cape : il suffit de taper l'instruction « grab man » pour que quelques simples lignes annoncent au joueur que Lawrence est sauvé et que l'agresseur est passé par-dessus bord. On passe alors immédiatement à autre chose. Même observation pour la double mort de Miss Lee et de Renaldo, séquence expédiée d'une courte description sans même que le joueur ne sache si les toiles volées ont bel et bien pu être retrouvées dans la cabine où elles étaient sensées être cachées !
Malgré tous ces défauts, le jeu conserve un intérêt indéniable : il s'agit d'un jeu holmésien, et toute enquête de Sherlock Holmes reste une belle curiosité à découvrir. La meilleure manière d'apprécier ce jeu reste sans doute de suivre la solution complète sans jamais s'en éloigner, évitant ainsi au joueur de tourner en rond à l'infini, et de ne plus savoir quoi faire. La « fiction interactive » devient alors « narrative », permettant au joueur de découvrir le jeu comme s'il s'agissait d'un simple récit inédit du Dr Watson... une stratégie sans prise de tête, applicable à toutes les aventures des années 80 construites sur le même système de jeu, et disposant d'une solution encore en ligne de nos jours.