Avec les précieux conseils de Xavier Bargue
L’objet de cet article est de souligner l’unité qui existe dans les jeux créés par Daedalic Entertainment et de montrer qu’à travers trois thèmes, que je laisserai au lecteur le soin de découvrir, l’œuvre vidéoludique de Jan Müller-Michaelis est véritablement forte et constante. Cette analyse n'ira pas à l’encontre des jeux, elle ne sera pas un spoiler et chacun pourra la lire par simple intérêt, même en ne connaissant que peu les jeux de Daedalic. J’espère qu’elle incitera nombre d’entre vous à les jouer.
Parcours et fondation
Daedalic Entertainment est né en 2007 de la rencontre de Carsten Fichtelmann et de Jan Müller-Michaelis.
Carsten Fichtelmann exerçait depuis près de 6 ans les fonctions de directeur marketing et de chef de produit chez l'éditeur de Hambourg, Dtp.
Jan Müller-Michaelis dit Poki est né à Hambourg en 1977, où il a étudié la technologie des médias à la HAW.
Dans le cadre de sa thèse intitulée Le jeu vidéo, une forme narrative non linéaire, il conçoit l'aventure graphique Edna & Harvey s’évadent. Il développe ce jeu seul et en assure lui-même toutes les étapes : auteur, illustrateur, animateur, programmateur, scripteur.
Voici comment il raconte sa rencontre avec Fichtelmann, la naissance de Daedalic et la concrétisation de son premier jeu d’aventure :
L'origine d’Edna remonte à l‘époque où je cherchais un moyen de terminer mes études en produisant un minimum d'effort. Avec un groupe de camarades étudiants, nous avons commencé à travailler à l'élaboration d'un concept pour un jeu narratif. Ce groupe s’est rapidement délité jusqu'à ne plus se réduire qu’à votre serviteur exclusivement. De sorte que l'élaboration d'Edna m’a pris beaucoup de temps et n‘a pas été facile. Edna constituait alors la partie pratique de ma thèse intitulée "Le jeu vidéo comme forme narrative non linéaire». Dans le cadre de mes recherches, j'ai rencontré alors Carsten Fichtelmann, avec lequel j'ai fondé début 2007 Daedalic Entertainment. Edna, je l’ai pour ainsi dire fait naître avec notre mariage, ... (1)
Daedalic Entertainment
Fondé à Hambourg en 2007, Daedalic Entertainment, studio de développement et éditeur de jeux vidéo, est une prise de risque et un pari sur l’avenir, une attitude qui comme il apparaîtra dans la suite de cet article est inhérente à la personnalité de Müller-Michaelis, au point qu’il en fait le moteur de pratiquement tous ses personnages principaux.
Les jeux que le studio réalise sont des jeux d'aventure-réflexion dits point & click, aux graphismes « cartoon », contenant de nombreux dialogues marqués par un humour relativement cynique comme dans Harvey’s New Eyes.
Le pari est une réussite car le studio très rapidement obtient de nombreuses distinctions décernées par des sites ou des magazines spécialisés : le Prix du développeur allemand, le Lara-Award, le Red Dot Design Award ainsi que le Deutschen Computerspielpreis du gouvernement fédéral, par exemple. (2)
La réussite de Daedalic Entertainment tient probablement essentiellement à la position claire et affirmée de Jan Müller-Michaelis sur la politique à mener pour concevoir et réussir un jeu d’aventure.
Lorsqu’on lui demande pourquoi ces jeux sont orientés narration, pourquoi le récit doit être primordial, il répond ceci :
Parce que nous croyons aux jeux qui ont une histoire forte et des images fortes. Et, je pense que les retours nous donnent raison - avec les premières images de "A New Beginning" et de "The Whispered World", montrer de quoi nos artistes et nos animateurs sont capables, comment vocalement les paysages en 2D et les personnages sont en osmose. Et que nous savons raconter des histoires, nous l’avons prouvé avec "Edna".(1)
Un récit fort a besoin de personnages forts. Un personnage attachant doit tourner autour d'un conflit intéressant qui sera exploré au cours de l'histoire. Le plus intéressant est de mettre le personnage au centre d'un dilemme qui l'oblige à choisir entre deux philosophies opposées. L'objectif d'un récit fort est de creuser lentement ce conflit central et de le séparer de tous les aspects secondaires. Tous les points de vue vis-à-vis de ce conflit sont exprimés, appliqués et surmontés jusqu'à ce que le conflit soit distillé, réduit à son essence. Maintenant, si, à ce moment, le joueur a du mal à se positionner dans ce conflit, pour moi cela fait une histoire réussie qui mérite d'être racontée. (3)
Les jeux Daedalic
En juin 2008, Daedalic publie un premier titre : Edna & Harvey s'évadent (titre original : Edna bricht aus) (France 2011), copieusement récompensé et qui se vend bien.
La même année, le studio sort 1½ Ritter – Auf der Suche nach der hinreißenden Herzelinde d’après le film de Til Schweiger.
Fin aout 2009, est publié The Whispered World (Les Chroniques de Sadwick, France 2010) et début octobre 2010, A New Beginning (France 2011), dont le thème central porte sur les conséquences du changement climatique.
En 2011, Edna fait une brève réapparition dans Harveys neue Augen (Harvey’s New Eyes), le personnage centrale étant Lilly, une toute petite fille.
Les 2 premiers épisodes de la trilogie Deponia sortent l’année suivante : Deponia et Chaos auf Deponia (Chaos on Deponia). Le dernier opus Goodbye Deponia esr attendu pour 2013.
En 2012, Daedalic propose L'Œil Noir : Les Chaînes de Satinav.
2013, année prolifique pour Daedalic Entertainment, puisqu’en juin sort en France The Night of the Rabbit tandis que 1954 : Alcatraz est attendu avant la fin de l’année, ainsi peut-être que Memoria, la poursuite des aventures de Geron le héros des Chaînes de Satinav.
Les résumés des jeux pour ceux qui, les ayant joués il y a quelques temps, auraient des problèmes de mémoire ou pour ceux qui voudraient davantage de précisions pour mieux contextualiser les propos tenus en analyse se trouvent en fin d’article.
Les thèmes traités
Conséquence incontournable de la personnalité de Jan Muller-Michaelis, leur créateur, plusieurs thèmes récurrents, (nous nous contenterons des trois que nous jugeons principaux) apparaissent dans les jeux sortis du studio Daedalic Entertainment : l’internement, le rêve et la planète en danger.
1. L’internement
a. Localisation
Le premier, peut-être le plus évident, est celui de la fin de l’enfance, traité de manière fort différente dans Edna & Harvey, Les Chroniques de Sadwick et The Night of the Rabbit, fin de l’enfance et début de l’adolescence, comme la vit Rufus, héros de Deponia ou Geron dans Les Chaînes de Satinav.
Les personnages principaux, la plupart, peut-être tous, imaginés par Jan Muller-Michaelis ont en commun d’être là où ils doivent si on les considère de l’extérieur mais de n’être pas à la place où eux souhaiteraient être, où eux estiment qu’ils devraient être. Et ces endroits, si particuliers de plus, confinent pratiquement tous à l’internement : asile psychiatrique, cirque ambulant, institution religieuse, planète dépotoir, ville maudite, prison (pour Alcatraz)…
Les personnages n’ont donc qu’une aspiration : par tous les moyens, quitter ces lieux.
Sur le choix de ces lieux inhabituels, Jan Muller-Michaelis en parle à propos de Deponia dans deux interviews :
On pourrait dire qu’il y a en quelque sorte déjà une méthode derrière ça. Je recherche l'indépendance et je veux que nous racontions de nouvelles histoires. Cela implique d’utiliser un nouveau paramètre. Dans Deponia c’est allé si loin que l'idée initiale était de mettre à la disposition du joueur un vrai terrain de jeu d’aventure, de trouver aussi un endroit où il puisse se sentir libre pour profiter au maximum des énigmes et de l'aventure.
Je suis donc remonté un peu en arrière, à mon enfance …Quand j’étais gosse, j’ai toujours eu un faible pour les dépôts de ferraille, et j’ai toujours trouvée fascinante l’idée de les assembler pour concevoir des cavernes ou des trucs comme ça. Du fait que notre enthousiasme n'est jamais aussi censuré que dans l'enfance, j’ai pensé que ce serait la peine d'essayer d’entreprendre un voyage dans cette direction, car il n'existe pas encore sous cette forme. (4)
L'inspiration me vient principalement de l'envie de trouver de nouvelles histoires et de nouveaux univers excitants et uniques en leur genre. Pour Deponia, je voulais réaliser quelque chose d'adapté aux amateurs du genre, et j'ai cherché dans les souvenirs de mon enfance le genre d'endroit qui me fascinait à l'époque. J'ai toujours aimé les dépotoirs. L'idée de créer des choses à partir d'objets jetés par les autres est à la fois créatif et excitant. Et avec notre équipe et le moteur de jeu, nous avons la possibilité de réaliser ce genre de mondes dans nos jeux. (5)
b. Marginalisation
L’isolement n’est pas uniquement une question de lieu (internement), il a également des résonnances sociales et des causes/conséquences psychiques. Les personnages centraux sont des solitaires, au ban de la société, ou rejetés. Cette société, ce groupe qu’ils veulent fuir et qui, lui, est parfaitement intégré à l’univers dans lequel il évolue ne les a jamais acceptés, n‘a jamais fait l’effort d’admettre leur différence … pour des raisons propres à chacun : Rufus, un sale type selon le propre jugement de Jan Muller-Michaelis, ne pense qu’à lui-même, souffre d’un égocentrisme pathologique qui en fait un être irresponsable ; Lilly est trop docile, trop malléable, trop soucieuse de bien-faire : l’institution entière la déteste (à l’exception de sa seule amie Edna) ; Geron et moindrement Sadwick sont des souffre-douleur : Geron commence son périple la tête plongée dans une auge à cochon et Sadwick n‘est guère choyé par son frère Ben ; Edna n’a qu’un confident : son lapin en peluche…
Ces solitaires marginalisés, ignorant des règles sociales, sont de ce fait des cas pathologiques qui entraînent dans leur sillage leur lot de catastrophes. Ils incarnent le type de l’antihéros déjanté.
Mes héros trouvent toujours leur source dans un conflit réel, que je propose et que je souhaite exprimer le plus clairement possible. J'ai tendance à aimer l‘outrance : je pense que c'est un moyen adéquat pour représenter les problèmes que nous avons nous-mêmes. … (4)
Lorsqu’on lui reproche de s’inspirer de la réalité (à propos d‘Edna un parallèle ayant été établi par un magazine autrichien avec un cas à Amstetten), Jan Muller-Michaelis ne mâche pas ses mots :
Ma première réaction a été la surprise. Il est évident que quelqu'un a simplement écrit des âneries, sans tenir compte de la réalité. Mais c’est le ton de l'histoire qui m'énerve - il semble qu’a priori l'auteur a trouvé choquant qu'un jeu puisse porter sur un sujet aussi grave que la maltraitance des enfants …(1)
2. Le rêve
Un second thème est celui du rêve, le rêve du sommeil (et les cauchemars), le rêve des aspirations (et les espoirs déçus). Sadwick, Jérémiah ou Lilly vivent leur rêve, Rufus n’a qu’un souhait : quitter Deponia, autre rêve qui se solde par bien des échecs. Fay, c’est plus qu’un rêve, doit absolument retrouver Bent Svensson et Geron, la harpe : pour eux deux c’est une question de survie. Mais pour les autres personnages aussi.
Ce ne seront pas eux qui ‘marchent toujours du même pas, sans s'alarmer, et suivent toujours le même train de vie, jusqu'à ce qu'ils se soient enfin précipités dans l'abîme’ (Bourdaloue).
a. Volonté d’évasion
Le premier rêve, la première aspiration est de fuir un espace dans lequel le héros étouffe. Il est persuadé que l’ailleurs est accessible, qu’il est forcément meilleur, qu’il a au moins le mérite d’être différent et laisse entrevoir des promesses, des perspectives à jamais condamnées si il ne franchit pas le pas. Coûte que coûte, le héros doit se libérer de ses entraves, rompre les liens qui l’enchaîne dans le monde où il vit. Sur le plan personnel, on l’a vu peu de choses le retiennent.
… le plus important, c'est le personnage de Rufus, qui donne à Deponia un trait caractéristique de notre studio : Rufus doit résoudre un problème que nous avons forcément tous connu, ce qui crée un lien particulier entre les joueurs et le personnage : Rufus veut vivre une vie meilleure. (5)
D'où vient cette volonté d’évasion ?
C'est en quelque sorte une contrainte du genre. L'aventure se définit en grande partie à travers un voyage et un changement de lieu pas seulement interne mais aussi externe. Le joueur se déplace d'un écran à l'autre, et découvre de nouveaux domaines. Ce qui implique naturellement des changements : c‘est Maniac Mansion qui a ouvert cette voie, où l'on pouvait se défouler dans la zone spécialement définie. Ainsi, il y a comme un contraste poétique, parce que l’on envoie le personnage quelque part quand, à l’intérieur de lui, se déroule un processus très dynamique ; par exemple, lorsque Rufus veut que sa vie sorte de la boue. Ce n'était pas différent dans Edna & Harvey s'évadent - le jeu n'a pas seulement quelque chose de volcanique dans son titre, les couleurs ont également été maintenues. (4)
b. Choix conflictuel
Lorsque cette volonté d’évasion se concrétise en décision, le héros ne s’en retrouve pas moins devant un conflit : on sait ce qu’on quitte, on ne sait jamais ce qu’on va trouver … et ce qu’on peut trouver risque d’être pire que ce qu’on quitte.
Comme le dit Jan Muller-Michaelis, les personnages portent en eux un état conflictuel ou sont conduits par les événements à cet état conflictuel, à ce choix définitif qui risque de bouleverser leur destin : soit ils acceptent leur sort mais on a vu qu’aucun d’eux n’opte pour cette option, soit ils font le grand saut sans forcément en mesurer les conséquences mais simplement parce qu’en l’état leur vie n’est plus acceptable.
Je m’efforce de placer mes personnages dans des situations complexes mais pas seulement univoques ; au contraire avec les avantages et les inconvénients de leur position. Dans A New Beginning, la question portait sur la protection de l'environnement. Une alternative à deux pôles avec d’un côté un égoïsme absolu et de l’autre un altruisme sans concession. L’auteur doit toujours conserver un équilibre le conduisant à se déplacer entre les deux. C’est également le cas dans A Whispered World ou Edna et Harvey s’évadent. L’un de mes tics, c'est de mettre mes personnages en conflit, qui sont aussi de vrais conflits, que l’on peut montrer, mais qu’on ne peut pas résoudre, qui restent des dilemmes. Le joueur doit donc vider le conflit complètement afin de voir où se situe le vrai problème. (4)
Dans les jeux, il y a souvent conflit. Dans les jeux de rôle, ce conflit est très souvent déterminé par les apparences. On a un héros et un ennemi que l’on doit vaincre. Ce qui souvent est incompréhensible pour des gens normaux, car il faut entrer dans la peau du personnage, ces situations étant fort éloignées de notre quotidien et du monde en général. Je pense que les jeux d’aventure dont une très grande partie repose maintenant sur une histoire, donnent la possibilité de déplacer le conflit à l'intérieur. L'individu qui est confronté à des circonstances incontrôlables, avec des changements drastiques ou un parfait statu quo, doit alors décider de la façon de gérer cela. Prenons Rufus : il est né et a grandi sur une planète dépotoir où tous les habitants acceptent plus ou moins cette situation ; et ce personnage veut vivre autre chose par curiosité ou par insatisfaction. Il est difficile lorsqu’en tant qu'être humain on se trouve confronté à un tel choix, de savoir si l’on doit opter pour la sécurité ou si l’on accepte de suivre un rêve - la recherche d’Elysium. Mais avant tout, quels sont les personnes qui vous accompagneront à ce moment-là et, plus important encore, que se passera t’il quand tous vos rêves seront devenus réalité ?
… Lorsque nous avons fondé Daedalic, nous ne pouvions pas savoir ce que cela donnerait. Nous savions seulement que nous devions au moins essayer de mettre en œuvre notre vision et nos histoires. Nous avons énormément travaillé et c'est bien que les gens aiment nos jeux et que nous en obtenions le retour correspondant. En raison de tout cela, il y a énormément de moi dans Rufus. Cette soif d’en vouloir plus, de vouloir vivre et de ne pas se satisfaire d’une situation, juste la recherche d'Elysium, c’est quelque chose que je connais moi-même trop bien. Il m'a fallu, comme quelqu'un l'a écrit que l'histoire de Deponia est ringarde et qu’on l’a déjà entendue cent fois ... Mais c'est justement ça ! Tout cela ... C'est l'un des conflits les plus originaux de l'humanité, et surtout il ne peut pas être résolu … (6)
c. Fin de l’initiation
Tous sont à leur place là où ils sont, tous aspirent à être ailleurs et c‘est ce voyage vers cet ailleurs, plus que l’ailleurs lui-même lorsqu‘ils l‘atteignent, qui modifie leur personnalité. Car pour l’atteindre ils font jouer des fibres qu’ils ignoraient eux-mêmes posséder. Ils étaient à leur place car le monde dans lequel ils vivaient leur renvoyait l‘image d‘eux-mêmes qu‘ils connaissaient. La folie est dans le risque qu‘ils prennent et pour atteindre l‘objectif qu‘ils se fixent, ils doivent puiser en eux des ressources dont ils n’auraient pas eu besoin en acceptant le statu quo. D’une manière générale, ils évoluent donc.
Jan Muller-Michaelis évoque ainsi l’évolution de Rufus lorsque Xavier Bargue lui demande si la rencontre avec Goal va modifier son caractère :
Ce qui est sûr, c'est que le caractère de Rufus va évoluer au cours de la série, mais on ne voudrait pas gâcher le plaisir de nos fans en leur révélant ce qu'on prévoit de faire avec nos personnages – mais on vous dit quand même une chose : l'incapacité de Rufus à apprendre de ses échecs va jouer un rôle central dans l'évolution de notre antihéros. (5)
Et à la même question posée par Volker Bonacker :
Il mûrit, oui. Rufus en a le potentiel. Il a beaucoup à apprendre mais d’un autre côté - c'est l’un des charmes de Deponia - dès le départ, il n‘a pas totalement tort. Je ne veux pas trop en révéler, mais le désir de promotion sociale n'est pas fondamentalement mauvais. … D’ailleurs on se dit souvent «j’aurais pu mieux faire." (4)
Si ces remarques portent sur Rufus, c’est parce que les interviews portaient sur Deponia. Mais elles sont valables pour tous les personnages de Jan Muller-Michaelis, de Lilly quasiment muette à Jeremiah Hazelnut, le petit écolier, de Geron l’apprenti-oiseleur orphelin à Edna la psychopathe, et cette évolution trouve son apogée dans le final des Chroniques de Sadwick.
Davantage de précisions serait spoilier définitivement les jeux.
3. La Terre en danger
Un troisième thème porte sur la catastrophe écologique à laquelle les terriens exposent leur planète : thème central dans A New Beginning, il apparaît nettement dans la planète dépotoir qu’habite Rufus, déjà cité et en filigrane tout au long de The Night of the Rabbit, corbeaux survolant une décharge ou cimetière de réfrigérateurs.
Le monde de Mousewood est harmonieux : les animaux qui l’habitent vivent en bonne entente (souris, taupe, écureuil, hérissons, oiseaux…), et avec la nature qui les accueillent, arbres et roches. Cet équilibre est rompu avec l’intrusion de Zaroff, dispensateur de poudre aux yeux, et « promoteur immobilier » qui pour subjuguer ses victimes et avec quelques complices précisément caractérisés recourt à un procédé peu différent de celui utilisé par le docteur Marcel dans Harvey’s New Eyes. Jerry découvre lors d’un premier retour dans son monde les dégâts subis à son environnement familier, tant à sa maison que dans la forêt ou dans la ville où il va à l’école.
Si Deponia n’est qu’une gigantesque poubelle, la Terre de Fay est devenue inhabitable. Dans sa quête énergétique, mal maitrisée, et soumis à l’appât du gain l’homme est le seul responsable du cataclysme : un réacteur nucléaire a explosé au Brésil, dans la forêt amazonienne détruisant celle-ci et provoquant des réactions en chaînes, sinistrant la surface terrestre au point que les survivants ont dû se réfugier dans des bunkers souterrains.
Il ne s’agit pas d’une vue passéiste des choses, mais d’un constat sur une réalité inquiétante : si l’homme ne prend pas garde à la préservation de son environnement (The Night of the Rabbit), il ne laissera aux générations futures au minimum qu’un dépotoir (Deponia) ou pire un désert (A New Beginning).
Portés par Jan Muller-Michaelis, les jeux développés par Daedalic Entertainment sont des variations sur des thèmes qui nous touchent tous, des déclinaisons très particulières mais récurrentes de problème de fond qui ne peuvent laisser indifférents. Généralement les scénarios sont forts et les images superbes. Beaucoup de raisons pour ne pas passer à côté.
Brefs Résumés
Edna & Harvey: The Breakout (2008) [Edna et Harvey s’évadent]
Edna est une préadolescente qui se réveille sans aucun souvenir dans une cellule capitonnée d’un asile psychiatrique. Partiellement amnésique, elle estime à juste titre avoir été internée injustement et évidemment n’a qu’une idée en tête : en sortir ! Les objectifs du jeu seront de la conduire à réaliser ce projet et de l’aider à retrouver la mémoire. Elle pense en effet à tort ou à raison que le méchant Docteur Marcel effectue sur elle comme sur les autres résidents des lavages de cerveau, ce qui n’est pas fait pour lui plaire. Son déséquilibre mental apparaît cependant assez évident lorsqu’elle entame le dialogue avec sa peluche Harvey, un lapin bleu, son réconfort et sa mauvaise conscience qui la conforte dans ses intentions, tout comme elle dialogue avec les objets de son environnement. Si la collaboration d’Harvey est précieuse pour rafraîchir ses souvenirs, les conseils dont il l’abreuve (et l’abreuvait dans le passé) ne sont pas forcément sains.
The Whispered World (2009) [Les Chroniques de Sadwick]
Les Chroniques de Sadwick : The Whispered World débute par un cauchemar de mauvais augure et surtout récurrent, annonçant que la fin du monde approche et qu‘elle sera provoquée par notre héros, Sadwick.
Sadwick, un petit garçon au costume de clown, se réveille dans sa roulotte plantée dans la clairière d’une forêt d’automne. Avec son grand-frère Ben acariâtre, rustre et brutal et Pépé son grand-père sénile, le jeune garçon dont la mélancolie et le pessimisme s’accordent mal à la fonction qui lui est dévolue, est le troisième élément d’un petit cirque itinérant.
Après avoir récupéré son compagnon, une chenille polymorphe nommée Spot, Sadwick désireux d’aventure, décide de partir en exploration et s’enfonce dans la forêt. Au bord d’un lac, il rencontre Bobby le Chaski poursuivi par les Asgils. Celui-ci doit remettre au roi un puissant artefact, la Pierre Chuchotante dont hérite notre jeune héros. Bobby lui parle également de Shana, un oracle qui réside dans la Forêt d’Automne. Lorsque Bobby rencontre Shana, l’oracle entre en transe et lui confirme ce que ses cauchemars lui ont déjà appris : il va détruire le monde. Lorsque la femme-serpent mystique se réveille, il lui rapporte exactement le contraire, prétendant qu’elle a dit qu’il serait le sauveur du monde.
Au cours de sa quête, Sadwick sera amené à croiser la route de bons nombres de personnages déjantés :
les Frères de pierre Ralv et Yngo, un triton d’ombre qui ne veut pas lâcher un œuf de Noahi, Bando et Ruben qui dirige une usine où l’on fabrique des perles, les Yakis sorte de volatiles, Loucaux le chef des Asgils, …
A New Beginning (2010)
2008 - Bent Svensson, ancien bio-ingénieur, vit désormais dans les forêts reculées de Norvège. A la tête d’un projet de recherche futuriste visant à produire une énergie renouvelable à partir des algues bleues, il n’était pas loin de le voir aboutir lorsqu’un cruel coup du sort, l’a contraint à transmettre ses recherches à son fils.
Avenir lointain - Suite à une succession de catastrophes écologiques, la vie n’est plus possible en surface. Les formes de vie se sont raréfiées et l’espèce humaine est sur le point de disparaître. Des scientifiques ont mis au point une machine permettant de voyager dans le passé. Fay et les membres de son équipe sont envoyés en 2050.
2050 - Mauvais choix. La Terre est sujette à de nombreux bouleversement et lorsque Fay et Nigel arrivent dans un San Francisco en ruines, ils apprennent assez rapidement que pratiquement toutes les équipes de voyageurs temporels parties en même temps qu‘eux, ont été victimes des éléments déchaînés. Fay doit encore remonter le temps. En effectuant des recherches dans les archives enterrées, elle découvre un article mentionnant les travaux de Bent Svensson à une époque où les problèmes écologiques existent déjà, mais peuvent encore être résolus. Elle apprend également qu’un réacteur nucléaire ayant explosé dans la forêt amazonienne est à l’origine du cataclysme, créant une réaction en chaîne.
2008 - Fay rencontre Bent, unique espoir de sauver l’humanité : reste à le convaincre de reprendre ses recherches sur le biocarburant qui seules peuvent permettre d’éviter ce cataclysme, sous réserve qu‘il soit immédiatement produit. Or vient se greffer un autre problème : les travaux de Bent sont maintenant entre les mains d’un puissant magnat dont le seul objectif est de faire du profit, quoi qu’il en coûte…
Harvey’s New Eyes (2011)
Lilli est une toute petite fille très docile qui ne demande qu’à bien faire et n‘ose pas s‘exprimer. Pourtant elle est plus ou moins prise en grippe par Mère Ignatz, la Mère Supérieure de l‘Institution, qui ne lui laisse rien passer. La meilleure et seule amie de Lilli est Edna, précédemment rencontrée, qui ne jouera dans cette aventure qu’un second rôle. Lilli se plie sans broncher aux ordres qu’elle reçoit et en introvertie pathologique ne s’exprime que par des sons commentant son humeur, ses actes étant interprétés par un narrateur délectablement cynique en voix off.
Lilli se plie donc à toutes les exigences de la Mère Sup, mais les moyens qu’elle met en œuvre pour les satisfaire aboutissent à une involontaire décimation intégrale des élèves de l’établissement juste retour des choses puisque tous l’ont prise en grippe. Leurs cadavres gisant dans différents endroits de l’établissement sont transformés en une sorte de mélasse et repeints en une couleur violacée par des patates concrétisant l’inconscient de la fillette.
Edna propose donc à Lilli de s’enfuir avec elle. Le moment est mal choisi car la Mère Ignatz a justement choisi ce jour pour faire appel au docteur Marcel. Celui-ci ayant récupéré Harvey, la peluche bleue, l’a transformé en outil hypnotique lui permettant d’expérimenter une thérapie sur les jeunes délinquants psychopathiques. Si Edna parvient à s’échapper, ce n’est pas le cas pour Lilli qui soumise à Harvey subit un véritable lavage de cerveau destiné à lui inculquer les règles sociales élémentaires.
Deponia (2012)
Dans cet univers, il y a deux planètes que tout oppose. Elysium, un espace policé, bien réglementé, où tout vu de l’extérieur semble sain et idyllique et Deponia, une planète qui sert de dépotoir à Elysium, où s’amassent déchets, détritus, immondices, ordures, rebuts, bref une décharge. Réminiscence écologique ? A New Beginning ?
Rufus vit sur Deponia, à Kuvaq. Rufus est un antihéros, un sale type comme dit son créateur ; Rufus est un arriviste, un égocentrique pétri d’immoralité, peu porté sur le travail, imbu de sa petite personne, bon à rien, méprisant les autres et surtout irresponsable. On conçoit que tout comme Lilli mais pour les raisons qui viennent d’être exposées, Rufus est un solitaire, détesté par son entourage.
Pourtant Rufus a un rêve : quitter sa planète pourrie par n’importe quel moyen pour gagner Elysium où il est persuadé que sa vraie valeur sera enfin reconnue : Rufus rêve de beauté, de richesse, de reconnaissance. Pour atteindre son objectif, à partir des décombres qu’il a récupéré, Rufus construit une sorte de canon qui doit le propulser jusqu’à la cité de ses rêves. Il parvient presque à ses fins lorsque tout droit tombée d’Elysium, Goal entre dans sa vie. L’esprit pratique de Rufus voit immédiatement en elle l’occasion rêvée de parvenir à ses fins : il remmènera la jeune fille sur sa planète et pourra ainsi s’y installer.
Rufus ignore cependant deux choses qui risquent de mettre à mal ses projets : la raison pour laquelle une jolie Elyséenne se retrouve sur Deponia d’une part et d’autre part, qu’il est le parfait sosie du fiancé de Goal …
L'Œil Noir : Les Chaînes de Satinav [The Dark Eye: Chains of Satinav] (2012)
Géron lui aussi est un solitaire ; peu prisé et malmené par ses congénères, orphelin, élevé par l’oiseleur de la ville, poursuivi par une malchance proverbiale qui lui fait provoquer des catastrophes partout où il passe, il est d‘un naturel plutôt pessimiste.
Notre apprenti-oiseleur dispose cependant d’un don, celui de briser les objets à distance par la seule force de la pensée.
Alors que le Roi d’Andergast, Efferdan s’apprête à signer un traité de paix avec son voisin, les corbeaux se répandent entre les murs de la cité et pénètrent même à l’intérieur du palais. Le Roi a sur-le-champ besoin d’un oiseleur : Géron est requis.
La présence des corbeaux est un mauvais présage annonçant le retour d’un devin maléfique jadis brûlé vif mais dont la réincarnation est imminente s’il parvient à s’emparer de la harpe magique détenue par les fées.
Géron doit donc retrouver la fée musicienne afin de la soustraire aux noirs desseins du malintentionné.
En compagnie de la ravissante Nuri, naïve et folâtre, une fée qui possède le don inverse du sien, celui de réparer tout objet brisé, Géron le cynique malaimé, doit absolument lever la malédiction qui pèse sur Andergast.
Chaos on Deponia (2012)
L’Organon, instance suprême élyséenne a décidé que Deponia devait être détruite, sous réserve cependant qu’elle n’ait pas d’habitants. Rufus et Goal décident d’aller plaider le contraire devant les dirigeants d‘Elysium. Mais comble de malchance, au cours de ce périple, la cartouche implantée dans le crâne de Goal subit des dommages irréversibles. Rufus est chargé de s’en procurer une nouvelle. Devant le choix qui lui est proposé, il n’opte pas pour la bonne option et lorsqu’il ramène la cartouche à Doc, celui-ci procède à l’opération … ce qui aboutit à une Goal à triple personnalité : Lady Goal une bonne bourgeoise un rien pète-sec et soucieuse avant tout du conformisme et des bonnes manières, Baby Goal plutôt bimbo et insouciante et Spunky Goal sportive, déterminée et susceptible. Heureusement Rufus dispose d’une télécommande lui permettant de passer de l’une à l’autre, ce qui est plus que nécessaire car il va devoir convaincre chacune des trois facettes de Goal de repasser sur la table d’opération de Doc pour que celui-ci puisse procéder à la fusion de ses personnalités afin que Goal redevienne elle-même … et puisse à nouveau accompagner Rufus sur Elysium afin de plaider en faveur de Deponia.
Goodbye Deponia (2013)
Ce troisième volet de la trilogie n’est pas encore sorti.
The Night of the Rabbit (2013)
Il reste deux jours de grandes vacances à Jeremiah Hazelnut (Jerry La Noisette en français, excusez du peu) avant la rentrée des classes. Sa mère le secoue un peu pour qu’il ne reste pas à se prélasser au lit et qu’il en profite : dès qu’il sort elle l’envoie chercher des mures afin de préparer une tarte.
A son retour, un curieux message qui évite la boîte aux lettres, atterrit directement dans sa poche. Il y est question de préparer à un certain endroit une certaine potion. Jerry s’y conforme et fait apparaître le Marquis de Hoto un lapin albinos mais surtout un magicien hors pair qui l’entraîne en tant qu’apprenti, à Mousewood, le Bois au Souris, une cité réunissant les animaux de la forêt. Jerry doit alors faire ses preuves en participant à l‘organisation de la fête célébrant son intronisation. C’est la première partie.
La seconde, fait apparaître le magicien Zaroff et ses complices, des lézards, décidés à s’approprier les âmes et les valeurs de Mousewood dont Jerry, magicien nouvellement promu, va être chargé de contrecarrer les plans destructeurs.
Une remarque en passant : un individu (ici un garçon) qui suit un lapin blanc en passant à travers un arbre et se trouve rapetissé dans un monde onirique, ça ne vous rappelle rien ?
1954: Alcatraz (TBA)
Ce troisième volet de la trilogie n’est pas encore sorti.
Dans le San Francisco des années 50, Joe Lyons a été condamné à 40 ans de prison pour vol à main armée et meurtre et se retrouve derrière les barreaux de la célèbre prison de la baie. Il devra donc y passer le reste de sa vie à moins qu’il ne trouve le moyen de s’évader. Il sollicite l’aide de son épouse Christine, mais celle-ci a ses propres problèmes. Le complice de Joe, Mickey, menace de la tuer si elle ne lui révèle pas où se trouve le butin. Pas de chance, seul Joe sait où celui-ci se trouve.
Memoria (2013)
Memoria est la suite des Chaînes de Satinav.
Lorsque nous avions quitté Géron, la fée Nuri était devenue l’une des créatures soumises du devin. Geron doit donc lever le sortilège qui la condamne. Il entend alors parler d'un marchand qui pourrait l'aider. Celui-ci accepte mais en contrepartie demande à notre oiseleur de lever le voile sur la disparition de la princesse Sadja, 450 ans plus tôt. En effet personne n'a jamais su ce qu’il était advenu de la princesse partie combattre les démons dans le désert de Goria.
Reardon, juin 2013
(1) Interview de Jan Müller-Michaelis par Christoph Kirchner (28 juin 2008, pour GameRadio).
(2) A propos de Daedalic se reporter à l’article que Xavier Bargue lui consacre sur Wikipedia.
(3) Interview de Müller-Michaelis par Steve Irvin (23 Octobre 2011 pour Adventure Classic Gaming)
(4) Interview de Jan Müller-Michaelis par Volker Bonacker (19 janvier 2012, pour T-Online.de Spiele)
(5) Interview de Jan Müller-Michaelis par LFP (Xavier Bargue) pour Planète Aventure (21.05.2012)
(6) http://zockworkorange.com/gc2012-entwicklerportrait-jan-mueller-michaelis-creative-director-von-daedalic-entertainment/
Le cours résumé qui suit est entièrement dû à Xavier Bargue (LFP) que je remercie.
The aim of this article is to point out three main recurring topics in Daedalic video games:
- the exclusion of a character from normal social life;
- the dream;
- environmental issues.
Exclusion of a character from normal social life
Characters of Daedalic games often live in a place where they have not chosen to live; other people made this choice for them. Examples: a psychiatric hospital (Edna), a traveling circus, a religious establishment, a jail (Alcatraz)... As a consequence, the main characters often feel alone and excluded from the society. Their purpose is often to leave this inadequate place to search something better. The characters are actually antiheroes rejected by the others. The reasons of their exclusion can be very different depending on each character.
The dream
Most of the main characters are leaded by the dream to flee the place where they are – with possibly dashed hopes. Sometimes the character lives its dream, sometimes the character is psychologically in a dream or a nightmare which will lead to broken hopes. Anyway, the characters encounter an internal conflict when they have to decide to abandon their current lives and to start a journey towards something better... which might be worst. It is this journey (more than the place they finally reach) which causes an evolution of their personality. This evolution might eventually give an other meaning to their initial dream.
Environmental issues
Environmental issues are mainly raised in A New Beginning and are also discussed in Deponia and The Night of the Rabbit. Daedalic treats the subject of a nuclear disaster in A New Beginning, and raises the problem of growing junkyards if humans do not take care of their garbage in Deponia and The Night of the Rabbit. On the contrary, in The Night of the Rabbit, Mousewood is an ideal environmental friendly place where animals live together in harmony.
Games by Daedalic / Jan-Müller Michaelis are variations on themes that affect us all and issues that can't be ignored. It's a lot of good reasons to play to these games.
Daedalic Entertainment à l’heure où est publié cet article vient de publier Memoria, le second épisode des aventures de Géron faisant suite à Les Chaînes de Satinav dans la série L’œil noir, un jeu superbe et excellent qui ne présente qu’un défaut : il est accessible en allemand, en anglais et en russe sur Steam mais n’a pas de version française.
D’autre part le troisième et dernier opus de la série Deponia devrait incessamment paraître. Des jeux d’une grande qualité.