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The Lost Crown
par Reardon  |  13.11.2009  | 


The Lost Crown, de Jonathan Boakes, développé par Darkling Room et édité par Lighthouse est sorti dans les pays anglo-saxons en mars 2008. Bien que plusieurs fois annoncée, une édition en France n’est toujours pas prévue à ce jour.

Cette nouvelle aventure effrayante s’inspire des récits maintenant classiques de Charles Dickens, Arthur Conan Doyle ou E.F.Benson mais s’agrémente de gadgets modernes : caméra à vision nocturne, lecteur de fréquence, appareil photo digital ou enregistreur de sons.

Toutefois la plus forte source d’inspiration pour ce jeu se trouve dans une nouvelle de M. R. James, considéré comme le père des histoires modernes de fantômes : Warning to the Curious, parue en 1925 et dont le texte, traduit par mes soins, figure à la fin de cet article (voir Supplément). Warning a en outre été adapté pour la télévision dans une série diffusée sur les chaînes britanniques en 1972.

Jonathan Boakes déclare à ce propos le 28 mars 2005 : ‘’Depuis que j’ai vu quand j’étais enfant cette série télévisée, cette histoire exerce sur moi une véritable fascination. Elle a influencé mon écriture, mes photographies et mes pensées sur le surnaturel. Le site (voir Sources) a été mis en ligne au printemps 2005 dans le but d’explorer le processus de création des fictions interactives (jeux d'aventure pour ordinateurs), et d'illustrer l'histoire en recourant à divers médias (cinéma, web, musique, photographie). Si vous explorez ce site, vous remarquerez, sans aucun doute, qu’il y a plus dans ces pages que ce que vos yeux peuvent vous donner à voir. Puzzles, énigmes et devinettes vous y attendent. Bonne chasse.’’

Aperçus scénaristiques

Avertissement

Il existe un ancien trésor, caché là-bas, dans notre paysage hanté ... mais serez-vous le premier à le trouver? D'autres ont essayé et ont échoué ... non par manque d'effort ou de compétences, mais parce que quelqu'un ou quelque chose les en a empêchés et qu’ils en sont morts ....

Nigel Danvers et Lucy Reubans, chercheurs de trésors et chasseurs de fantômes entreprennent leur aventure dans la campagne mystérieuse de Saxton, en Angleterre, et cherchent des réponses dans ces lieux peuplés de vie, mais hantés par la mort.

Soyez prudent : tous les trésors disparus ne doivent pas forcément réapparaître. Méfiez-vous des anciens gardiens, qui ont en charge la dernière grande couronne anglo-saxonne depuis plus de mille ans ... ils vous attendent.

Personnages

Nigel Danvers: “Ces silhouettes...rien que des ombres...ils ne me laisseront pas repartir”.

Deux agents louches, M. Hare et M. Crow, ont poursuivi Nigel dans tout le vieux Londres, pour récupérer des documents 'top secret' volés dans l’après-midi. S’étant réfugié dans la station balnéaire désertée de Saxton, sur la côte est de l'Angleterre, Nigel espère s’y cacher de ses poursuivants, autant que de sa propre culpabilité. Saxton n'est pas une ville portuaire, elle semble faire écho à des événements passés, à des légendes et à des personnages. Fasciné par les histoires de trésor perdu, Nigel décide de retrouver la dernière couronne anglo-saxonne d’Anglia, cachée dans les environs de l’ancienne ville. Des marécages brumeux de Fen Land, aux sombres allées forestières de Carrion Wood, Nigel ne ménagera aucun effort dans sa quête de The Lost Crown.

Lucy Reubans: "Je ne sais pas ce que j'ai vu ..., cette nuit, au musée ... mais c’était étrange ... inexplicable ..."

Lucy est une étudiante en psychologie de 26 ans, qui séjourne à Saxton pendant ses vacances universitaires. C’est en ville que Lucy fait la connaissance de Nigel Danvers ; cette rencontre démarre immédiatement sur un mauvais pied.

Le caractère enthousiaste et fascinant de Nigel finit par vaincre les réticences de Lucy et tous deux s’associent pour résoudre crimes et mystères en utilisant des méthodes très différentes. Nigel croit aux fantômes et aux activités surnaturelles, alors que Lucy se fie à la science, à la raison et à la logique. Sous ses allures extérieures de jovialité, Lucy dissimule un événement de son passé. Ses aventures avec Nigel feront remonter ce secret à la surface, amenant Lucy à en savoir beaucoup plus que ce qu'elle y a laissé.

Suivez Nigel Danvers dans cette inquiétante station balnéaire, apprenez à utiliser la technologie avancée utilisée par de vrais enquêteurs sur le surnaturel. Mais restez sur vos gardes : tous les habitants de Saxton ne vous viendront pas en aide dans votre mission, qu’ils soient vivants ou morts.

À propos de Darkling Room: L’équipe de développement est basée sur la rude côte ouest de Cornouailles, une région qui a inspiré des histoires de fantômes à Wilkie Collins, M.R. James et Daphné du Maurier. Un cadre idéal pour la réalisation de jeux où interviennent des spectres. Beaucoup dans l'équipe ont participé aux enquêtes paranormales effrayantes conduites par "This Haunted Land", un groupe zélé de chasseurs de fantômes basé à Looe en Cornouailles. Cette expérience véritable de la chasse aux fantômes actuelle a permis à l’équipe de concepteurs d’associer la pratique à la théorie. Cette précieuse connaissance est mise en vedette dans le gameplay de "The Lost Crown".

"Expérimenter réellement les phénomènes paranormaux, pour les besoins de la conception de ce jeu, a été étonnante" déclare Jonathan Boakes. "L’expérience a été aussi terrifiante qu’exaltante. C'est un plaisir de transmettre aux joueurs quelques-unes de ces véritables frayeurs."

Grâce à sa collaboration avec Darkling Room, Jonathan introduit un incomparable réalisme dans un jeu fondé sur le surnaturel, en ayant recours autant à des gadgets réels qu’à des techniques traditionnelles:

"Une grande partie de cette chasse aux fantômes (…) place le joueur au coeur d'un vrai lieu hanté. Son succès ou son échec à trouver des esprits errants dépend de ses compétences d'enquêteur. En positionnant correctement des détecteurs de mouvement, des caméras à vision nocturne et des capteurs de température, les lieux révèleront un passé hanté et de terrifiantes apparitions. Avec des nerfs d'acier et un esprit combatif, le joueur percera bientôt des secrets perdus depuis longtemps, connus seulement par la mort ".

À propos de la conception du jeu

Jonathan Boakes : "J'ai commencé par imaginer un changement d’approche différent de celui de Dark Fall. Je ne dis pas que The Lost Crown est totalement à la 3ème personne, ce n’est pas le cas, mais j’avais dans l'idée d’écrire un scénario plutôt que de présenter une autre aventure de fantômes non linéaire. Il est incroyable de voir à quel point la dynamique et le rythme d’un jeu se modifient lorsque vous changez de perspective. (…). Considérer ces marionnettes comme des personnages interagissant avec le monde réel, figé dans le temps, reste une étrange expérience.

J'utilise une technique baptisée «Digital Decoupage», dans laquelle les photos (et les personnages photographiés) sont combinées pour suggérer une vision un peu surréaliste de notre monde. L'effet est à la fois réaliste et étrange, un peu comme ce que faisaient au début les surréalistes ou les cubistes. Cette technique signifiait, bien sûr, pour moi d’aller photographier des centaines d'endroits dans tout le pays pour servir de lieux au jeu. Mon préféré est Polperro, qui sert de modèle à la ville anglo-saxonne de Saxton. Polperro, comme beaucoup de villages de pêcheurs de Cornouailles, est un petit bourg compact, avec des rues anciennes ventées, de sombres cryptes voûtées et des bois denses, presque étouffants, tout autour. C'est réellement le lieu idéal pour l'aventure, incitant au plaisir de l'écriture et du tournage. (…)

La Cornouailles a également fourni beaucoup de supports. S’il ne m’était pas nécessaire d’apprendre les bizarreries de conception d’une église paroissiale, j’étais à la recherche de fantômes dans d’improbables sites. Je suis membre de This Haunted Land, un groupe d'amateurs de paranormal à la recherche de l'existence d’activités surnaturelles.

Je ne suis pas moi-même réellement un «croyant», ce qui peut vous surprendre. Une grande partie de mon plaisir à assister à la chasse aux fantômes et aux veillées, est de m’informer sur l’aspect scientifique des enquêtes paranormales et d’expérimenter cette dynamique unique de participation à ces événements ésotériques. Je dis "dynamique", mais le plus souvent, elles se caractérisent par un manque de dynamisme ou de mouvement. Plutôt que de courir dans des couloirs poursuivis par un spectre, nous avons tendance à nous retrouver appuyés contre un mur froid, parfois entre 1h et 3 h du matin, sans alcool, sans clopes ou sans stimulant.

Vous pourrez en conclure que je suis vieux jeu, mais je préfère de beaucoup m’asseoir devant une belle flambée, dans un pub bien chauffé, à siroter de la Bénédictine et à rêvasser à d'atroces histoires de fantômes. Rejoindre This Haunted Land m’a appris à quel point la chasse aux fantômes pouvait être fastidieuse et banale. Une partie de cette expérience sera dans The Lost Crown, mais j’y inclurai quelques séquences effrayantes et passionnantes pour contrebalancer les enquêtes trop conventionnelles. (…)

Une histoire comme The Lost Crown a besoin de se développer à son rythme. Entre-temps, j'ai travaillé sur d'autres jeux, construit des sites web pour des collègues et avancé dans la conception graphique. L'histoire qui inspire The Lost Crown a évolué à partir de l'idée initiale d’explorer A Warning to the Curious de M.R. James. Cette histoire est l’une des préférées de mon enfance, une merveilleuse et glaçante histoire de vengeance et de châtiment. James écrivait des nouvelles très concises et très claires, ce qui les rend idéales pour l'inspiration. Je peux ajouter les histoires de fantômes de Daphné du Maurier et de J.S. Le Fanu à la liste de ceux qui m’influencent, mais également des écrivains plus modernes, comme Robert Westall, qui a eu une grande importance quand j’étais enfant.

The Lost Crown est un jeu très moderne qui conserve les mécanismes employés par les écrivains traditionnels d’histoires de fantômes. C'est un style très particulier. Je décrirais le jeu comme «très anglais», ce qui peut être interprété en bien ou en mal. En fait, j'irais jusqu’à dire que c'est probablement le plus anglais des jeux jamais produits. Il y a un rythme et une atmosphère dans ce jeu que je n'ai jamais rencontré auparavant. Je pense que la production des deux Dark Fall, (tout en étant impliqué dans d'autres projets, y compris des jeux d'aventure) m'a permis de ralentir et d’établir un bilan de ce que j'avais fait et de ce que je souhaitais faire. "

SUPPLEMENT

"A Warning to the Curious" by M. R. James Traduction française de Jean Louis Laurin


Un avertissement pour les curieux

Cet endroit de la côte Est que le lecteur est invité à visiter se nomme Seaburgh. Il n'est pas très différent aujourd'hui de ce que m’ont laissé mes souvenirs d’enfance. Des marécages traversés par des digues au sud, rappelant les premiers chapitres de Great Expectations; des champs uniformes parsemés de bruyère; des bruyères, des bois de sapins, et dominant le tout, des ajoncs partout. Un long front de mer et une rue : par derrière, une grande église de pierre, avec du côté ouest, une large et solide tour et un carillon avec six cloches. Comme je me souviens bien de leur son, ce chaud dimanche d'août, quand notre petite bande montait lentement la pente blanche et poussiéreuse de la route qui y menait, l'église étant perchée au sommet d'un court raidillon. Elles sonnaient sèchement les jours de grande chaleur, mais quand l'air était plus doux, leur son était harmonieux. Le chemin de fer passait en contrebas jusqu’à son terminus un peu plus loin. Il y avait un joli moulin à vent blanc juste avant d’arriver à la gare, et un autre près du chemin de planches longeant le rivage à l'extrémité sud de la ville, et d'autres encore sur les terrains plus élevés du nord. Il y avait des maisons de brique rouge avec des toits d’ardoise ... Mais pourquoi est-ce que je vous encombre avec tous ces détails si banals? Le fait est qu'ils s’accumulent à la pointe de mon crayon quand je commence à écrire sur Seaburgh. J’aimerais être sûr d’avoir le droit d’en coucher davantage sur le papier. Mais c’est plus fort que moi. Je ne crois pas que c’était une très bonne idée de se lancer ici dans cette description.

Faites le chemin à pied en partant du front de mer, passez la gare, et prenez la route à droite. C’est un chemin de sable, parallèle aux voies du chemin de fer, et si vous le suivez, vous atteindrez une petite hauteur. Sur votre gauche (vous vous dirigez maintenant vers le nord) se trouve la bruyère, sur votre droite (du côté de la mer) quelques vieux sapins battus par le vent, plus nombreux au sommet, avec une pente de vieux arbres jusqu’en bord de mer ; quand du train, on les voit à l’horizon, ils vous indiquent un instant, si vous l’ignorez encore, que vous arrivez sur une côte venteuse. Passons. Au sommet de ma petite colline, une rangée de ces sapins se dresse et court en direction de la mer ; une crête suit cette direction, et se termine par un monticule surplombant les champs d'herbe grasse ; un petit groupe de sapins le couronne. Là, une chaude journée de printemps, on peut s’asseoir pour contempler le bleu de la mer, les moulins à vent blancs, les maisonnettes rouges entourées de gazon, le clocher, et plus loin au sud la tour Martello.

Comme je l'ai dit, j'ai connu Seaburgh quand j’étais enfant, mais bon nombre d'années ont passé depuis. Néanmoins, ce lieu conserve sa place dans mon coeur, et tous les récits qui s’y rapportent continuent à m’intéresser. En voici un : il m’a été rapporté dans un endroit très éloigné de Seaburgh, et tout à fait par hasard, par un homme auquel j’avais rendu service, et qui se sentait à ce point redevable, qu’il m’en fit son confident.


"Je connais cette région plus ou moins bien, dit-il. Je me rendais assez régulièrement à Seaburgh pour jouer au golf, au printemps. Je logeais généralement au 'Bear', avec un ami, Henry Long que vous avez peut-être connu. ("Un peu ", ai-je dit). Nous y réservions un salon et cela nous convenait parfaitement. Depuis sa mort, je n’y suis plus retourné. Et je ne crois pas que j’y retournerai après ce qui s est passé lors de notre dernier séjour.

C’était en avril 19.. ; nous y séjournions et, par chance, nous étions pratiquement les seuls résidents de l'hôtel. De sorte que les chambres étaient presque toutes vides ; aussi nous fûmes extrêmement surpris, quand, après le dîner, la porte de notre salon s'entrouvrit et qu’un jeune homme passa la tête. Nous nous tournâmes vers lui : il ressemblait à un lapin anémique, les cheveux et les yeux clairs, mais cependant son visage n’était pas désagréable. Aussi quand il nous a demandé : "Je vous demande pardon, est-ce une pièce privée? ", nous n'avons pas protesté et dit : "Oui, en effet" et Long a rajouté, à moins que ce ne fut moi, (je n’en suis plus sûr) : "Entrez donc si vous voulez". "Oh, je peux" a t’il dit et il a paru soulagé. Il était clair qu’il recherchait de la compagnie et comme il était d’un naturel plutôt calme - pas du genre à vous assommer avec ses problèmes personnels – nous lui conseillâmes de prendre un siège. "Je dois vous confier que les chambres sont plutôt sombres", ai-je dit. C’était la réalité mais nous nous en accommodions fort bien. Il s’est assis, a feuilleté un livre ; Long faisait des réussites ; je me plongeai dans l’écriture. Il m’apparut clairement au bout de quelques minutes que ce visiteur était dans un état de tension nerveuse tel qu’il me le communiqua. Je repoussai donc ce que j’écrivais et me tournai vers lui pour engager la conversation.

Après quelques propos sans intérêt que j’ai oublié, il commença ses confidences. "Vous devez me trouver très étrange" (c’est par là qu’il commença), "mais je viens de subir un choc". Je commandais un réconfortant, le serveur nous l’apporta (et je remarquai que notre jeune homme parut très inquiet quand la porte s’ouvrit), mais après un certain temps, il en revînt à ses malheurs. Il ne connaissait personne et il avait appris que nous étions là et que nous avions quelques relations communes en ville. Il avait besoin d’un conseil si cela ne nous dérangeait pas. Bien sûr, tous deux nous dîmes : "ça va de soi" ou " Pas du tout » et Long rangea ses cartes. Nous nous rapprochâmes pour écouter à quelle difficulté il se trouvait confronté.


" Cela a commencé, dit-il, il y a plus d'une semaine, alors que je m’étais rendu à bicyclette à Froston, à environ cinq ou six miles, pour voir l'église. Je m’intéresse d’assez près à l'architecture, et celle-ci possède un joli porche avec des niches et des blasons. J'en pris une photo. C’est alors qu’un vieil homme qui travaillait dans le cimetière s’est approché de moi et m'a demandé si je voulais visiter l’intérieur. J'ai accepté, il a sorti une clé et je suis entré. Il n'y avait pas grand-chose, mais je lui ai dit que c'était une jolie petite église et qu’il en prenait grand soin. " Mais, ai-je ajouté, ce qu’il y a de mieux, c’est quand même ce porche." Nous étions juste devant à ce moment-là, alors, il m’a dit: "Ah, oui, c'est un beau porche, et savez-vous, monsieur, ce que signifie ce blason là? "

C’était le seul portant trois couronnes, et bien que je ne sois pas héraldiste, je pus lui répondre : "Oui, je pense qu’il s’agit des vieilles armes de l'ancien royaume d'East Anglia. "

"C'est juste, monsieur, dit-il, mais savez-vous ce que signifient ces trois couronnes ?"
Je lui dis qu’on en connaissait probablement la signification, mais que moi-même, je ne me souvenais pas l’avoir jamais entendue.

"Eh bien, alors, dit-il, puisque vous êtes étudiant, je vais vous apprendre quelque chose que vous ignorez. C’est que ces trois couronnes ont été enfouies dans le sol près de la côte pour empêcher les Allemands de débarquer - ah, je vois bien que vous n’y croyez pas. Mais je peux vous dire une chose : si une seule de ces saintes couronnes n'avait pas été là, les Allemands auraient débarqué et se seraient installés ici. Ils auraient débarqué et tué les hommes, les femmes et les enfants dans leur lit. Ça c’est la vérité vraie que je vous dis, et si vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à en parler au recteur. Il arrive : n’avez qu’à lui demander".

"J'ai tourné la tête et j’ai vu le recteur, un beau vieillard, qui montait le chemin ; avant même que j’aie pu assurer à mon vieil interlocuteur très excité, que je ne mettais pas sa parole en doute, le recteur est intervenu en disant:

"De quoi s’agit-il, John? Bonjour à vous, monsieur. Avez-vous visité notre petite église?"

"Cette seule remarque suffit au vieil homme pour recouvrer son calme ; alors le recteur répéta sa question.

"Oh", dit-il, "c’est pas grand-chose ; je disais simplement à ce jeune homme que c’était vous qui pouviez lui parler le mieux des saintes couronnes".

"Ah, oui, certainement," déclara simplement le recteur, "c'est un sujet très curieux, n'est-ce pas? Mais je ne suis pas sûr que ce gentleman se passionne réellement pour nos vieilles histoires, non? "

"Oh, il sera très vite intéressé," renchérit le vieil homme, " et tous ses doutes s’envoleront bien vite dès que vous lui parlerez, monsieur, de votre rencontre avec William Ager, le père et son fils aussi."

"Puis-je me permettre une parenthèse pour vous confier à quel point je tenais à en savoir davantage sur cette histoire ; mais durant un temps interminable, je dus suivre le recteur à travers les rues du village où il avait un mot ou deux à dire à ses paroissiens, avant qu’il ne m’invite à entrer au presbytère où il m'accueillit dans son bureau. Il m’avait confié, en chemin, que j'étais tout à fait apte, n’ayant rien du profil d’un dilettante, à m’intéresser intelligemment à une anecdote populaire. Il était donc très disposé à parler, et il est tout à fait surprenant que je n’aie pas attaché sur le moment, plus d’importance à cette étonnante légende qu’il me racontât. Voici donc ce qu'il me dit : "Dans cette région, les gens ont toujours eu foi en ces trois saintes couronnes. Les personnes âgées prétendent qu'elles ont été enterrées dans différents endroits près de la côte pour éviter les invasions des Danois, des Français ou des Allemands. Ils disent aussi que l'une des trois a été déterrée il y a longtemps, et qu’une autre a disparu sous les assauts de la mer, mais que la troisième poursuit son œuvre qui consiste à repousser l’envahisseur. Eh bien, maintenant, si vous avez lu les guides touristiques et si vous connaissez un peu l'histoire de ce comté, vous vous souvenez peut-être qu’en 1687, une couronne, qu’on a appelée la couronne de Redwald, roi des Angles de l'Est, a été déterrée à Rendlesham, et hélas! cent fois hélas! qu’elle a été fondue avant même d’avoir été dessinée ou seulement correctement décrite. Je vous concède que Rendlesham n'est pas sur la côte, mais n'en est pas non plus très éloignée, et c’est une très importante voie d'accès. Je pense qu’il s’agit de la couronne dont les gens parlent quand ils disent que l'une a été déterrée. Et puis, au sud, je ne vous apprendrai pas que s’y dressait le palais d’un roi des Saxons qui maintenant est enfoui sous la mer, hein? Eh bien, c’est là qu’était la deuxième couronne, j’en suis convaincu. Et quelque part ailleurs, en plus de ces deux là, disent-ils, se trouve la troisième."

"Mais savent-ils où elle se trouve?" ai-je bien sûr demandé.

"Il me dit :" Oui, en effet, mais ils ne le répètent pas" et sa façon de répondre ne m'encouragea pas à lui poser la question qui s’imposait. Au lieu de ça, j'attendis un moment pour lui demander : "Qu'a donc voulu dire le vieil homme quand il a dit que vous connaissiez William Ager, comme si il y avait eu un rapport avec ces couronnes? "

"Oui", a t-il dit, " ceci est une autre curieuse histoire. Ces Ager ! C'est un très vieux nom dans cette région, mais je ne peux pas dire qu’il s’agisse de gens de qualité ou de grands propriétaires terriens. On prétend ou on a prétendu qu’une branche de la famille Ager était la gardienne de la dernière couronne. Le premier que j’ai connu était le vieux Nathaniel Ager - je suis né et j’ai grandi tout près d'ici - et il a, je crois, établi son campement ici pendant toute la guerre de 1870. Son fils William a fait la même chose, je peux le certifier, pendant la guerre en Afrique du Sud. Et le jeune William, son fils, récemment décédé, avait trouvé à se loger au plus près d’ici ; j'ai sans doute précipité sa fin, car il était tuberculeux, et faisait fréquemment des sorties nocturnes. C’était le dernier de cette lignée, ce qui pour lui était un drame terrible, mais il ne pouvait rien y faire, ses plus proches parents résidant dans les colonies. J'ai écrit quelques lettres pour lui les implorant de revenir régler des affaires de succession très importantes, mais elles sont restées sans réponse. Donc, la dernière des saintes couronnes, si elle existe, n'a plus de gardien maintenant ".

"Voilà ce que me confia le recteur, et vous pouvez très bien imaginer à quel point cela m’avait passionné. La seule chose à laquelle je pensai en le quittant était de savoir comment trouver l'endroit où la couronne était censée être. Je souhaitais le découvrir seul.

"Mais la fatalité dans toute cette histoire n’est pas un vain mot. Comme je rentrais chez moi en bicyclette, mon regard en passant devant le cimetière fut accroché par une pierre tombale assez récente sur laquelle figurait le nom de William Ager. Bien sûr, je m’arrêtai pour la lire. Il y était inscrit : "de cette paroisse, décédé à Seaburgh, 19.. à l’âge de 28 ans." C’était là, devant moi, vous comprenez. J’avais une partie de la réponse ; il me restait à découvrir le cottage le plus proche de cet endroit. Seulement je ne savais pas encore trop bien par où commencer. Une nouvelle fois, le sort s’est mis de la partie : il me conduisit dans une sorte de boutique d’antiquités, vous voyez, où je trouvai quelques livres anciens, parmi lesquels un étrange livre de prières datant de 1740 avec une reliure plutôt bien conservée. Je vais le chercher, il est dans ma chambre."

Il nous laissa quelque peu surpris, mais nous avions à peine eu le temps d'échanger deux ou trois mots qu’il était de retour, haletant ; il nous remit le livre ouvert à la page de garde sur laquelle était écrit d’une main mal assurée :

" Nathaniel Ager est mon nom et l'Angleterre ma patrie,

Seaburgh est mon lieu de résidence et le Christ mon sauveur,

Quand je serai mort et dans ma tombe, et tous mes os corrompus,

J'espère que le Seigneur pensera à moi lorsque tous m’auront oublié".



Ce poème datait de 1754. On y trouvait de nombreuses allusions à d’autres Ager : Nathaniel, Frederick, William, etc., le tout s’achevant par William, 19.. .

"Vous voyez, dit-il, n’importe qui appellerait ça de la chance. J’y ai cru aussi, mais plus maintenant. Bien sûr, j'ai interrogé l’antiquaire sur William Ager et, bien sûr, il réussit à se souvenir que celui-ci habitait un cottage au Nord et y était mort.

" Je voyais très bien le chemin crayeux et je savais où le cottage se trouvait : il n'y en avait qu'un seul d’imposant. L'étape suivante consistait à entrer en contact avec les gens ; je refis le chemin à pied cette fois. C’est un chien qui me facilita les choses : il fondit sur moi en montrant les crocs, ses propriétaires le rattrapèrent et lui administrèrent une correction. Naturellement ils s’excusèrent et nous engageâmes la conversation. Je n’eus qu’à prononcer le nom de Ager en prétendant que je l’avais connu et que je savais quelque chose à son propos ; la femme alors me dit que c’était bien triste de mourir aussi jeune et qu’elle était sûre que c’était parce qu'il passait ses nuits dehors dans le froid. J’ai dû lui demander: "C’est en mer qu’il allait la nuit?" et elle m’a répondu : "Oh, non, c'était sur la colline avec les arbres là-haut." Je m’y rendis.

"Je ne suis pas un néophyte pour ce qui est de creuser le sol. Je l’ai fait bon nombre de fois dans le bas pays. Mais en accord avec les propriétaires, en plein jour et avec d’autres gars. Je dus examiner l’endroit très consciencieusement avant d’y amener une pelle : je ne pouvais pas ouvrir une brèche dans le monticule, et avec ces vieux sapins qui avaient poussé là je craignais d’être bloqué par les racines. Le sol est cependant très malléable, sablonneux et facile à creuser, et un terrier ou n’importe quoi du même genre pourrait être transformé assez rapidement en une sorte de tunnel. Le plus gênant était que j’allais devoir sortir et rentrer à l'hôtel à des heures incongrues. Quand je me fus décidé sur la manière d’opérer, je déclarai que j'avais été rappelé pour une nuit, et je me rendis sur place. Je creusai mon tunnel. Je ne vais pas vous ennuyer avec les détails de soutènement et d’évacuation. Non, l'essentiel est que je trouvai la couronne".

Tous deux nous explosâmes en exclamations de surprise et d'intérêt. Personnellement, je connaissais depuis longtemps l’histoire de la couronne trouvée à Rendlesham et j’en avais souvent déploré le sort. Personne n'a jamais vu de couronne anglo-saxonne - enfin, n’en avait jamais vue. Notre interlocuteur nous regarda tristement. ." Oui, dit-il, mais le pire, c'est que je ne sais pas comment la remettre à sa place."

"La remettre en place?", nous sommes nous écriés. "Pourquoi cela, mon cher monsieur, alors que vous avez fait l’une des plus passionnantes découvertes de l’histoire de ce pays. Bien sûr, elle doit être remise à la Jewel House de la Tour de Londres. Quel est votre problème? Si vous craignez la vindicte du propriétaire de la terre où vous avez trouvé ce trésor, ou quoi que ce soit du même genre, nous pouvons certainement vous venir en aide. Personne ne fera d’histoires sur les moyens employés dans une affaire de ce genre."

On a sûrement dit bien d’autres choses, mais il s’est contenté de se prendre le visage entre les mains et de murmurer: "Je ne sais pas comment la remettre à sa place."

Long lui a alors dit: "Je vous prie de m’excuser si ma question est déplacée, mais est-elle réellement en votre possession?" J’avais moi aussi envisagé de lui poser cette question car son histoire en y réfléchissant me semblait passablement extravagante. Mais je n'avais pas osé craignant de heurter la sensibilité de ce pauvre jeune homme. Il ne s’en choqua pas, s'assit et répondit très calmement, avec le calme du désespoir, si j’ose dire : "Oh, pour cela oui ; je l'ai sans doute possible, chez moi, enfermée dans mon sac. Vous pouvez venir la voir si vous y tenez car je ne vous proposerai pas de vous l’amener ici."

Pas question pour nous de laisser s’échapper une telle opportunité. Nous l’accompagnâmes donc : sa chambre n’était qu’à quelques portes. Le propriétaire était juste en train de ramasser les chaussures dans le couloir : ou si nous l’avons pensé, après nous n’en étions plus aussi sûrs. Notre visiteur - il s’appelait Paxton – s’était mis à frissonner ; il se précipita dans la pièce, nous fit signe de le suivre, alluma la lumière et referma doucement la porte. Puis il dénoua son paquetage et en sortit un monceau de mouchoirs propres dans lesquels quelque chose était enveloppé, le jeta sur le lit et le défit. Je peux dire maintenant que j'ai vu une vraie couronne anglo-saxonne. Elle était en argent (comme on l’a toujours dit de celle de Rendlesham), sertie de pierres précieuses, de camées, avec des motifs anciens, gravés assez grossièrement. Cela ressemblait à ce que l’on voit sur les pièces de monnaie anciennes et dans les manuscrits. Je n’avais aucune raison de penser qu’elle était postérieure au neuvième siècle. J'éprouvai un très vif intérêt, bien sûr, et je voulais l’examiner de plus près lorsque Paxton m'empêcha de m’en saisir. "Surtout, ne la touchez pas ! Je vais le faire pour vous." Et en poussant un soupir terrible, je peux vous le certifier, il s’en est saisi et l’a tournée en tous sens afin que l'on puisse en examiner chaque détail. "L’avez-vous assez vue?" a-t-il demandé enfin. Nous avons acquiescé. Il l’enveloppa à nouveau et la redéposa dans son sac qu’il referma, puis se tînt devant nous en nous regardant, sans dire un mot. "Retournons dans notre chambre," proposa Long, "et vous nous expliquerez votre problème". Il nous remercia et dit: "Pourriez-vous sortir les premiers pour voir si…, si la voie est libre?" Ce n'était pas très compréhensible, car ce que nous venions de faire, après tout, n’avait rien de répréhensible, et l'hôtel, comme je vous l'ai dit, était pratiquement vide. Toutefois, nous commencions à être mal à l’aise, sans savoir pourquoi au juste ; de toute façon la nervosité est contagieuse. Donc nous avons ouvert la porte, scruté le couloir et nous sommes imaginés (nous avons tous deux eu cette même impression) qu’une ombre, ou plus qu’une ombre (cela ne produisait aucun bruit) passait à côté de nous alors que nous sortions dans le couloir. "Rien à signaler", avons-nous chuchoté à l’adresse de Paxton (ce terme de chuchotement me semble le mieux approprié) et nous avons regagné notre salon, lui étant entre nous. J'avais alors l’intention à ce moment de m’extasier sur ce que nous venions de voir, mais en me tournant vers Paxton, je compris que ce serait terriblement déplacé. Je le laissai donc s’exprimer.

"Que faut-il faire?" commença-t-il. Long est parfois obtus (comme il me le confia plus tard) : il lui répondit donc : "Pourquoi ne pas se renseigner sur le nom du propriétaire du terrain et l’informer …""Oh, non, non! " l’interrompit Paxton excédé "Je vous prie de m’excuser ; vous vous êtes montrés si aimables, mais ne voyez vous pas que les ténèbres progressent. Je n'ose plus rester là la nuit et même la journée cela m’est impossible. Peut-être, cependant, que vous ne le voyez pas : eh bien, à la vérité, depuis que je l'ai touchée, je n'ai plus jamais été seul." J'étais sur le point de faire un commentaire passablement stupide, mais je croisai le regard de Long et ne dis rien. Long déclara : "Je pense avoir peut-être vu quelque chose: mais cela ne vous soulagerait-il pas de nous expliquer un peu plus clairement la situation?"

Paxton jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, puis nous fit signe d’approcher et commença à parler à voix basse : nous l’écoutions religieusement, bien sûr, en prenant des notes, ce qui par la suite, me permit d’en rédiger notre version. Je suis sûr d’avoir relevé presque mot pour mot ce qu'il nous confia.

"Cela a commencé quand j'ai entamé ma prospection et depuis cela me poursuit encore et encore. Il y avait toujours quelqu'un, un homme, debout près de l'un des sapins. C’était en plein jour, vous savez. Il n'était jamais en face de moi. Je l'ai toujours vu du coin de l’oeil à ma gauche ou à ma droite, mais il n'y était plus quand je tournai la tête. Je m’allongeai à plat ventre un bon moment pour observer et m’assurer qu'il n'y avait personne ; quand je me suis relevé pour reprendre ma prospection il était là à nouveau. Et puis, il a commencé à me donner des conseils ; où que j’aie placé ce livre de prières – et même en l’enfermant à clé dans un tiroir, ce que je fis en dernier ressort - quand je rentrai dans ma chambre, je le retrouvai toujours sur ma table ouvert à la page de garde où figurent ces noms, avec l'un de mes sabres ouvert placé au travers pour marquer la page. Je suis sûr qu'il ne peut pas ouvrir mon sac, car il se serait sûrement produit autre chose. Vous comprenez, il est léger et faible, et malgré tout je n'ose pas l’affronter. Voyez-vous, quand j’ai creusé le tunnel, ça a été bien pire, et si je n'avais pas été aussi déterminé, j’aurais dû tout laisser tomber et partir en courant. C’était comme si quelqu'un tout le temps raclait quelque chose dans mon dos ; j’ai longtemps pensé que c’était le plafond qui s’effritait derrière moi, mais lorsque j’ai atteint la …, la couronne, je n’ai plus eu aucun doute. Et lorsque je l’ai réellement découverte, posé mes doigts dessus et sortie du sol, j’ai entendu comme un cri derrière moi - oh, je ne peux dire à quel point il était à la fois désolé et … horriblement menaçant. Cela me gâcha tout le plaisir de ma découverte – j’ai hésité à ce moment-là. Et si je n'avais pas été le malheureux fou que je suis, j'aurais dû replacer cette chose et la réenfouir. Mais je ne l'ai pas fait. La suite fut horrible. J’avais des heures à tenir avant de pouvoir décemment rentrer à l'hôtel. J'ai commencé par reboucher le tunnel et par en dissimuler toutes traces, et tout le temps, il était là essayant de m’en empêcher. Parfois, vous savez, vous le voyez, et parfois vous ne le voyez pas, c’est selon son désir, je pense : il est toujours là, mais il a un certain pouvoir sur vos yeux. Je dus quitter l’endroit peu de temps avant le lever du soleil ; ensuite je devais redescendre à la gare de Seaburgh, pour prendre un train et rentrer. Et, bien que le jour se soit levé assez rapidement, je ne sais pas si cela changea réellement grand chose. Tout au long du chemin, il y a des haies, des buissons d'ajoncs, des clôtures de champs, des sortes de cachettes je veux dire, et je ne fus pas tranquille une seule seconde. Et puis quand j'ai commencé à croiser des gens qui se rendaient au travail, ils regardaient toujours derrière moi très étrangement : cela aurait pu signifier qu'ils étaient surpris de voir quelqu'un de si bonne heure, mais je ne pensais pas que ce soit ça, et aujourd'hui moins encore : ce n’était pas moi qu’ils regardaient. Et le contrôleur du train réagit de la même façon. Le chef de gare maintînt la porte ouverte une fois que j’étais dans le wagon, comme si quelqu’un d’autre avait dû monter, vous comprenez. Oh, soyez bien certain que ce n’est pas un effet de mon imagination" dit-il avec une sorte de rire las. Puis il ajouta: "Et même si je tente de la remettre là où je l’ai prise, il s’y oppose ; il ne me pardonne pas, je crois. Et dire que j'étais si heureux, il y a encore quinze jours." Il s’est affaissé sur une chaise, et je crois qu'il s’est mis à pleurer.

Nous ne savions quoi dire, mais nous avons pensé que nous devions lui venir en aide, cela semblait être la seule chose à faire. Nous lui avons dit que s’il voulait remettre la couronne à sa place, nous allions lui prêter main forte. Je crois que, après ce que nous venions d’entendre, cela semblait la meilleure solution. Si ces horribles conséquences s’étaient abattues sur ce pauvre homme, n’y avait-il pas une part de vérité dans l'idée que la Couronne possédait le mystérieux pouvoir de protéger la côte? J’en étais arrivé à cette conclusion et je pense que Long aussi. Notre proposition fut de toute façon très bien accueillie par Paxton. Quand allions-nous le faire? Il était presque dix heures et demie. Pouvions-nous envisager de faire une promenade de nuit plausible pour les gens de l'hôtel? Nous avons regardé par la fenêtre: la pleine lune, la lune pascale éclairait le village. Long se chargea d’informer le propriétaire et de le convaincre. Celui-ci déclara que notre absence ne devrait guère durer plus d’une heure, et que si nous la trouvions si agréable pour nous attarder un peu, lui n’allait pas passer son temps assis là à nous attendre. Nous étions des clients réguliers de l'hôtel, nous ne causions de soucis à personne, et nous étions considérés par le personnel comme ne lésinant pas sur les pourboires ; le propriétaire convaincu, il nous laissa sortir vers le front de mer et demeura un moment, nous l'apprîmes par la suite, à nous suivre des yeux. Paxton portait sur son bras un grand manteau, sous lequel se trouvait la couronne enveloppée.

Nous suivions donc cet étrange parcours qui nous menait bien loin de notre destination primitive avant de le réaliser pleinement. Je vous en parle très brièvement seulement pour que vous compreniez la rapidité avec laquelle nous avions mis en pratique notre plan d'action et l’avions exécuté.

"Le chemin le plus court est de passer par la colline et de traverser le cimetière", nous dit Paxton quand nous fîmes une pause laissant l’hôtel haut dessus et le front de mer en bas. Il n'y avait personne, réellement personne. Seaburgh hors saison est un endroit particulièrement calme. "Nous ne pouvons pas suivre la digue en passant devant la maison à cause du chien," me confia Paxton lorsque je suggérai que le chemin réellement le plus court était de rester sur le front de mer et de couper entre les deux propriétés. Son raisonnement était plein de bon sens. Nous grimpâmes le chemin de l'église et nous avons franchi la porte du cimetière. Je reconnais que j’ai pensé qu'il pouvait y en avoir quelques-uns couchés là qui soient conscients de notre entreprise ; mais si c’était le cas, ils devaient être également conscients du fait que celui qui était de leur côté, pour ainsi dire, nous gardait sous sa surveillance ; nous n’avons rien vu. Mais nous nous sentions épiés comme je ne l'ai jamais ressenti à un autre moment. Ce fut plus particulièrement le cas lorsque ayant passé le cimetière, nous prîmes un étroit chemin bordé de hautes haies où nous ne prîmes pas le temps de flâner. Il nous mena en plein champ. Puis nous longeâmes des haies, par les brèches desquelles je pouvais voir si quelqu'un nous suivait ; nous passâmes devant une ou deux grilles, nous obliquâmes vers la gauche pour atteindre la crête qui s'achevait par ce monticule.

En nous en approchant, Henry Long sentit, et je le sentis aussi, qu'il y avait ce que je ne peux nommer que des présences sombres et indéfinies nous attendant, ainsi qu’une entité beaucoup plus réelle pour nous assister. De l'état d’agitation de Paxton tout ce temps, je ne peux vous en dépeindre aucune image appropriée : il soufflait comme un animal pris en chasse, et nous ne pouvions ni l'un, ni l’autre voir son visage. Comment il parviendrait à gérer en arrivant à l'endroit même, ne nous inquiétait pas : il avait semblé si sûr que ce ne serait pas difficile. Et ce ne le fut pas non plus. Je n'avais jamais rien vu de semblable à la rapidité avec laquelle il se mit à creuser à un endroit précis sur le côté de la butte, évacuant tout, au point qu’en quelques minutes, la majorité de son corps avait disparu. Nous attendions debout tenant le manteau et ce paquet de mouchoirs, et nous regardant, la peur au ventre, je l'avoue. Il n'y avait rien à voir: une ligne sombre de sapins derrière nous marquait l'horizon, davantage d'arbres et la tour de l'église à un demi mile sur la droite, des cottages à gauche et un moulin à vent à l'horizon, la mer plate devant, l’aboiement faible d'un chien dans une maison entre la digue et nous, la pleine lune éclairant ce chemin vers la mer, l'éternel murmure des sapins écossais juste au-dessus de nous, et celui de la mer devant. Pourtant, dans toute cette quiétude, la conscience aiguë, acerbe d'une hostilité retenue très proche de nous, comme un chien dont la chaîne pourrait se rompre à chaque instant.

Paxton s’extirpa du trou et nous tendit une main. "Donnez-la moi", murmura t-il, "elle seule". Nous l’avons sortie de son paquetage de mouchoirs et il l’a prise. Un rayon de lune tomba juste sur elle comme il nous l'arrachait des mains. Nous-mêmes n’avions touché qu’un peu de métal, et j'ai pensé depuis que ça avait été tout aussi bien. Un moment plus tard, Paxton ressortit du trou et le combla à mains nues ; bien qu’elles fussent en sang, il déclina notre aide ; ce qui lui prit un temps fou pour rendre à cet endroit son apparence initiale, et je ne sais comment il réussit à y parvenir ; quand il fut enfin satisfait, nous rebroussâmes chemin, lui nous précédant.

Nous étions à quelques centaines de mètres de la colline, quand tout à coup Long s’étant retourné lui dit: "Je crois que vous avez oublié votre manteau là-haut. Cela ne risque rien? " Je regardai également et vit ce long manteau sombre près de l’endroit où il avait creusé le tunnel. Paxton ne s’arrêta pas pourtant ; il se contenta de secouer la tête, il tenait son manteau sur le bras. Quand nous nous rapprochâmes de lui, il nous dit très calmement, mais comme si plus rien n’avait d’importance: "Ce n'était pas mon manteau." Et, en effet, lorsque nous nous sommes retournés à nouveau, cette sombre chose n’était plus là.

Nous avons regagné le chemin que nous avons dévalé rapidement. Il n’était pas encore minuit quand nous sommes arrivés à l’hôtel en essayant d’afficher un visage détendu et en affirmant, Long et moi, que c’était une bien belle nuit pour une promenade. Le propriétaire guettait notre retour ; nos remarques lui étaient destinées en entrant dans l'hôtel. Il jeta un nouveau coup d’œil vers le front de mer puis referma la porte à clé. "Vous n'avez pas dû rencontrer beaucoup de monde, je suppose, messieurs?", dit-il. "Non, en fait, pas âme qui vive", ai-je répondu. Je me souviens alors que Paxton me lança un étrange regard. "Je croyais seulement avoir vu quelqu'un passer la gare derrière vous, messieurs", déclara le propriétaire. "Pourtant, vous étiez tous les trois ensemble, je ne pense pas qu'il vous voulait du mal." Je ne savais quoi répondre ; Long dit simplement "Bonne nuit" et nous montâmes l’escalier en promettant d’éteindre toutes les lumières, et de regagner nos lits très rapidement.

De retour dans notre chambre, nous fîmes de notre mieux pour remonter le moral de Paxton. "Maintenant la couronne a retrouvé sa place", lui avons nous dit ; "et s’il est très probable que vous auriez mieux fait de ne pas y toucher" (il hocha lentement la tête), "vous n’avez pas vraiment fait de mal ; nous n’en parlerons jamais à quiconque serait assez fou pour s’en approcher. Vous-même, ne vous sentez vous pas mieux? " "Je n’ai pas honte d’admettre" dis-je "que sur le chemin, je n’étais pas très loin de penser comme vous que, eh bien que nous étions suivis ; mais au retour, ce ne fut pas du tout la même chose, qu’en dites-vous?" Non, il n’y croyait pas: "Vous n’avez rien fait qui puisse vous nuire" dit-il, "mais je ne suis pas pardonné. Je dois encore payer pour ce misérable sacrilège. Je sais ce que vous allez dire. La foi peut m’aider. Oui, mais c'est le corps qui doit souffrir. Il est vrai que je n’ai pas l’impression qu'il m’attend dehors en ce moment. Mais…" Il s'arrêta. Puis il se tourna vers nous pour nous remercier et nous lui prodiguâmes des encouragements autant que nous pûmes. Naturellement, nous avons insisté auprès de lui pour qu’il utilise notre salon le lendemain et lui avons assuré que nous serions heureux de sortir avec lui. Peut-être pratiquait-il le golf? Oui, il y jouait, mais il ne pensait pas que ce serait à l’ordre du jour le lendemain. On lui conseilla alors de se lever tard et de venir s'installer dans notre chambre en fin de matinée pendant notre parcours, et puis nous ferions une promenade en fin de journée. Il accepta très docilement et se montra très réceptif à tous nos projets, prêt à faire ce que nous estimions le meilleur pour lui, mais il était clair et certain que dans son esprit ce qui se préparait ne pouvait être ni anticipé, ni évité. Vous pouvez vous demander pourquoi nous n'avons pas insisté pour l'accompagner jusque chez lui afin de le savoir en sécurité en compagnie de frères ou de n’importe qui. Le fait est qu'il n’avait personne. Il avait eu un appartement en ville, mais récemment il avait décidé d’aller s’installer quelques temps en Suède, avait cédé son appartement et expédié ses biens, et avait pris quinze jours ou trois semaines de bon temps avant son départ. Quoi qu'il en soit, on ne voyait pas ce que nous avions à faire de mieux que de dormir, ou dormir peu, comme cela fut mon cas et de voir comment nous nous sentirions le lendemain matin.

Nous nous sentîmes très différents, Long et moi, par ce beau matin d'avril comme on les aime ; et Paxton aussi parut très différent quand nous le vîmes au petit déjeuner. "L’impression première d’avoir passé une bonne nuit comme il me semble n’en avoir jamais eue", nous dit-il. Mais il allait suivre le programme que nous avions fixé : rester sur place probablement toute la matinée et sortir avec nous plus tard. Nous nous rendîmes sur le terrain, firent quelques connaissances avec lesquelles nous jouâmes, et le déjeuner étant servi assez tôt, nous nous arrangeâmes pour ne pas y être en retard.

Les pièges de la mort se refermèrent pourtant sur lui. Est-ce que cela aurait pu être évité, je n’en sais rien. Je pense qu'il aurait été pris de toute façon, quoi que nous puissions faire. Quoi qu'il en soit, voici ce qui arriva.

Nous nous rendîmes directement à notre chambre. Paxton était là, plongé très calmement dans un livre. "Prêt à faire un petit tour ?" dit Long, "Disons dans une demi-heure?" "D’accord", dit-il. Je déclarai que nous devions d’abord nous changer, peut-être prendre un bain, et que nous lui ferions signe une demi-heure plus tard. Je commençai par prendre un bain, puis j’allai m'allonger, et je dus dormir une dizaine de minutes. Nous quittâmes nos chambres en même temps, et ensemble nous nous rendîmes au salon. Paxton n'y était pas, seulement son livre. Il n'était pas non plus dans sa chambre, ni dans les pièces du bas. Nous l’avons appelé. Une servante est sortie et nous a dit: "Que se passe-t-il? Messieurs, je vous croyais déjà sortis, comme l’a cru l’autre gentleman. Il vous a entendu l’appeler du chemin, et s’est précipité dehors ; j'ai regardé par la fenêtre de la salle du café, mais je ne vous ai pas vus. Il est parti en direction de la plage, par là."

Sans un mot, nous avons couru dans cette direction, à l’opposé de celle de notre expédition nocturne. Il n'était pas tout à fait quatre heures, et la journée était belle, mais pas aussi belle qu’elle l'avait été, ce que vous expliquerez par l’anxiété qui nous rongeait : avec autant de gens dehors, un homme ne peut pas craindre grand mal.

Mais quand nous étions sortis en courant, quelque chose dans notre regard avait dû alerter la servante, car elle sortit sur les marches de l’escalier, et pointant le doigt elle dit : "Oui, c'est par là qu’il est allé."

Nous avons couru jusqu’au bout du chemin de planches où s’offraient plusieurs directions possibles : passer les maisons sur le front de mer, continuer sur le sable jusqu’à l’extrémité de la plage découverte alors à marée basse ou encore continuer le chemin de planches entre les deux, ce qui nous permettait de voir et l’une et l’autre. Mais ce chemin était difficile. Nous avons opté pour le sable, l’endroit le plus désert où quelqu'un pouvait se rendre avec de mauvaises intentions sans crainte d’y être vu.

Long dit qu’il voyait Paxton loin devant, courant et agitant sa canne, comme s'il voulait appeler quelqu’un devant lui. Je ne pouvais pas en être sûr: l'une de ces brumes de mer venue du sud a fondu très rapidement sur le rivage. Il y avait quelqu'un, c'est tout ce que je peux dire. Il y avait des empreintes sur le sable : celles d’un homme en train de courir et portant des chaussures, et d'autres devant elles - car parfois les chaussures les recouvraient partiellement - de quelqu'un qui n'avait pas de chaussures. Oh, bien sûr, il n’y a plus que ma parole sur tout cela: Long est mort. Nous n’avions ni le temps, ni les moyens d’en faire des croquis ou de relever des moulages, et la marée suivante effacerait toutes traces. Tout ce que nous pouvions faire était de suivre ces marques en toute hâte. Et là, nous en avons trouvé de très nombreuses qui levaient tous nos doutes : ce que nous vîmes était l’empreinte d'un pied nu, avec plus d’os que de chair.

L'idée que Paxton courant derrière…, derrière quelque chose comme ça, en croyant que c’était ses amis qu'il voyait, nous a abominablement choqué. Vous pouvez vous représenter ce que nous imaginions : comment la chose qu’il suivait, s’est soudainement arrêtée et s’est retournée vers lui, et quel sorte de visage, il a découvert, à moitié dissimulé par la brume, de plus en plus épaisse. Et en courant, je me demandais comment ce pauvre malheureux avait pu être trompé par cette chose se faisant passer pour nous ; je me suis alors rappelé ce qu’il nous avait dit: "Il a un certain pouvoir sur vos yeux." Et puis je me suis demandé ce que serait la fin, car je n'avais plus d'espoir maintenant que cette fin puisse être évitée, et - bon, il n'est pas nécessaire de vous raconter toutes les horribles pensées qui me traversèrent l’esprit lorsque nous courions dans ce brouillard. C’était d’autant plus étrange et incompréhensible que le soleil devait encore être brillant dans le ciel et qu’on ne pouvait rien voir. On ne pouvait seulement se rendre compte que nous avions maintenant dépassé les maisons et que nous avions atteint ce passage entre elles et la vieille tour Martello. Lorsque vous passez la tour, vous savez, il n'y a rien d’autre qu’un très long chemin de planches, pas une maison, pas une créature humaine, juste ce bras de mer marécageux ou couvert de galets, avec la rivière à droite et la mer à gauche.

Mais juste avant ça, tout près de la tour Martello, vous vous souvenez qu’il y a le vieux fortin, à proximité de la mer. Je crois qu'il ne reste plus que quelques blocs de béton maintenant, le reste a été emporté ; mais à cette époque, il y en avait beaucoup plus, même si l'endroit était en ruine. Bon, en arrivant là, nous avons grimpé tout en haut aussi vite que nous pouvions pour reprendre notre souffle et regarder au-dessus des planches en face, si par chance le brouillard nous laissait voir quelque chose. Nous nous sommes reposés un petit moment. Puis nous sommes repartis en courant sur au moins un mile. Mais nous ne pouvions toujours rien voir devant nous ; donc, d'un commun accord, nous étions sur le point de rebrousser chemin pour redescendre en courant sans plus d’espoir, quand nous avons entendu ce que je ne peux que qualifier de rire. Et si vous pouvez comprendre ce que je veux dire par un rire privé de souffle, un rire époumonné, vous savez de quoi je parle, mais je ne pense pas que vous le puissiez. Il provenait d'en dessous, et se répercutait dans la brume. Cela suffit. Nous nous penchâmes sur le mur. Paxton était en contrebas.

Il n’est pas nécessaire de vous préciser qu'il était mort. Ses empreintes indiquaient qu’il avait couru le long du fortin, avait brusquement tourné dans l’angle, et pris d’un léger doute, s’était brutalement précipité dans les bras ouverts de quelqu’un qui l’attendait là. Sa bouche était pleine de sable et de pierres, ses mâchoires et ses dents réduites en morceaux. Je me contentais de ne regarder qu’une seule fois ce visage.

Au moment même où nous tentions de descendre dans le fortin pour pouvoir atteindre le corps, nous entendîmes un cri, et nous vîmes un homme dévaler le sentier de la tour Martello. C’était le gardien qui y était affecté, et ses vieux yeux avaient réussi à apercevoir à travers la brume que quelque chose n'allait pas. Il avait vu Paxton tomber, et nous avait vu un moment après, en train de courir ; c’était une chance pour nous, car nous aurions pu difficilement éviter d’être suspectés dans cette terrible affaire. Nous lui avons demandé s’il avait aperçu quelqu'un attaquer notre ami? Il ne pouvait pas l’affirmer.

Nous l’envoyâmes chercher de l'aide et nous demeurâmes près du mort jusqu'à ce qu'ils reviennent avec une civière. C'est alors que nous avons retracé son parcours, sur l'étroite bande de sable sous le mur du fortin. Il n’y a autrement que des galets et il est totalement impossible de dire si d'autres y étaient passés.

Que devions-nous dire lors de l'enquête? Nous estimions comme un devoir de ne pas mentionner le secret de la couronne, qui aurait été publié dans tous les journaux. Je ne sais pas comment vous auriez réagi, mais nous nous mîmes d'accord pour dire que nous n'avions fait la connaissance de Paxton que la veille, qu'il nous avait confié qu'un certain William Ager présentait un danger pour lui et que nous avions également vu d'autres empreintes que les siennes lorsque nous avions suivi la plage. Mais bien sûr, à ce moment-là tout avait disparu.

Personne n'avait heureusement jamais entendu parler d’un quelconque William Ager vivant dans le district. Le témoignage de l'homme de la tour Martello nous lava de tout soupçon. Tout ce qui put être fait fut de rendre un verdict de meurtre volontaire par une personne ou des personnes inconnues.

Paxton était si totalement privé de toutes relations que toutes les enquêtes menées par la suite aboutirent à une impasse. Et je ne suis jamais retourné à Seaburgh, ou seulement à proximité, depuis. "

Reardon