Qu'il s'agisse d'enquêtes, de science fiction, de myst like ou
de tout autre genre, le joueur entre dans un monde inconnu et doit procéder
avec méfiance et prudence.
Dans les débuts du jeu d'aventures, cette pratique était
plus que courante : certaines actions et pas forcément entreprises
avec imprudence impliquaient inévitablement et irrémédiablement
la fin du jeu.
Imprévisibles, le joueur malchanceux se trouvait devant le fatal
game over sans systématiquement comprendre quelle erreur il avait
pu commettre, quel dialogue s'était mal engagé, quel objet
ne devait pas être ramassé. L'environnement était
une menace, d'ailleurs tout était menace, du plus inoffensif animal
rencontré au détour d'un bois à une quelconque machine
inventée par un savant fou.
Je citerai à ce propos l'article de Jean-Christian " JVC "
sur un jeu de 1985 sorti pour Apple II : Même les pommes de
terre ont des yeux !, et publié sur Grospixels
:
[
] Certaines actions inadéquates dans le jeu entraînaient
inévitablement la mort (et donc la fin de la partie). Le game over
est une tendance qui a disparu par la suite dans les jeux d'aventure,
le joueur se contentant d'être bloqué jusqu'à ce qu'il
trouve la solution... Mais ici, une décision prise un peu trop
à la légère pouvait être fatale, et le plus
souvent c'était complètement injuste et impossible à
prévoir, ce qui laissait planer un doute de quelques dixièmes
de secondes chaque fois que l'ordinateur se mettait à charger une
nouvelle scène. C'est pour cela que le titre du jeu est tout de
même bien choisi. On en arrive, de manière subtile à
développer une méfiance envers l'environnement du jeu :
Comment savoir que le hibou de la forêt est en réalité
un espion nain ? Qu'en suivant le lapin, on se perd de manière
définitive ? Qu'en s'emparant trop tôt des bombes dans le
déroulement de l'histoire, elles explosent ?
En fait, chaque action est risquée. Mais le jeu n'en est pas impossible
pour autant. Déjà, s'il est d'une bonne difficulté
comme tous les jeux d'aventure de l'époque, il est tout de même
très rapide à terminer, quand on connaît la solution,
évidemment. Du coup, quand on perd il ne faut que quelques instants
pour revenir à peu près là où on en était
avant de "gaffer". Se faire si gratuitement éliminer
n'est donc pas source d'énervement comme ça le serait dans
des jeux plus complexes, mais c'est plutôt prétexte à
une note d'humour. D'ailleurs, lorsque vous perdez, un revolver apparaît
à l'écran. Ne vous reste plus qu'à placer votre tête
sur le côté de l'écran et à faire feu. Un game
over plutôt violent donc, et qui vous permet au passage d'écouter
le seul bruitage du jeu...
La pondération par l'humour n'a cependant pas été
suffisante ; ces jeux qui s'adressaient alors à un public d'adolescents
ont vu ce public évoluer au fil des ans et les exigences les accompagnant
également. La mort s'est vue émigrer vers d'autres genres
de jeux - du moins l'a-t-on prétendu ! Cependant, elle est demeurée
latente et acceptée dans bon nombre de jeux d'aventures se terminant
par quelque exploit du héros sous forme d'action : ainsi dans les
Chevaliers de Baphomet, tout comme dans les Gabriel Knight, les jeux se
terminent par une scène qui systématiquement risque de mettre
prématurément fin à la vie du héros.
Le principe a certes évolué : il relève soit d'un
mauvais choix du joueur, soit d'une ultime péripétie avant
le final. Ce n'est plus une embûche qui peut survenir à chaque
instant.
Si cette forme de game over est plus fréquente dans les jeux des
années 1990, comme en témoigne les quelques exemples suivants
:
- Croisière pour un cadavre (1991) : où l'on peut
mourir une ou deux fois à la fin du jeu (jppkeyser - Atlantisamerzoneetcie)
;
- The Journeyman Project (1993) : où les risques de mourir
sont nombreux ;
- Prisonner of ice (1995) : confronté à l'identité
monstrueuse découverte sous la banquise ;
- Shivers (1995) : où pour chaque danger des ixupis - ces
fantômes enfermés dans des poteries et libérés
par des inconscients - une musique vous avertit avant de mourir, ce qui
vous permet de continuer le jeu sans reprendre la sauvegarde (yves - AAC)
;
- The Beast within (1995) : combat de loups-garous ;
- Phantasmagoria (1995) : un pendule couperet vous décapite
;
- Zork Nemesis (1996) : fabrication d'un cocktail explosif ou entrée
aux enfers gardés par un cerbère bicéphale ;
- Timelapse (1996) : différents combats contre l'androïde
;
- Pandora Directive (1996) où l'on est confronté
à quelques énigmes de rapidité et où par conséquent
on peut mourir sept ou huit fois (jppkeyser) ;
- Fable (1996) : Une mauvaise réplique, une action oubliée,
une réflexion trop longue sont susceptibles de vous envoyer dans
le royaume des morts (Isys - AAC) ;
- Atlantis (1997) : mauvaise rencontre avec un sanglier,
elle n'a cependant pas totalement disparu des jeux postérieurs
comme certains a priori porteraient à le croire :
- Dans La légende du prophète et de l'assassin (2000),
jppkeyser déplore des morts trop fréquentes ;
- Dans Riddle of the Sphinx (2000), on meurt seulement parfois
;
- A propos de Dracula 2, le dernier sanctuaire (2000), rinix (AAC)
exprime sa surprise de se retrouver "game over" dès le
début du jeu et d'être confronté à des séquences
pour lesquelles il n'y a qu'un temps de réaction très court
avant d'être "game over" ;
- A propos de The Watchmaker (2001), lise (AAC) déclare
: " Il y a deux moments dans ce jeu où le temps nous est compté
: dans un souterrain où on risque d'être enseveli dans le
sable et à la fin où il faut ruser pour éviter un
immortel " ;
- Dans Sherlock Holmes, le mystère de la momie (2002) :
il faut sauvegarder très souvent car on meurt régulièrement
(Elga) ; dans La boucle d'argent (2004), deux séquences
chronométrées vous pénalisent également d'un
retour à la précédente sauvegarde ;
- Dans The Black Mirror (2003), il est au moins trois occasions
de mourir : un loup vous attend à la sortie du tunnel, dans la
crypte vous pouvez avoir quelques déboires sans compter Ralph qui
au phare risque de vous faire un mauvais sort ;
- Dans Le Manuscrit de Voynich (2003), troisième volet des
Chevaliers de Baphomet, Susarro, ses hommes de main, Petra son égérie
ou le dragon du final s'en prennent sans vergogne autant à George
qu'à Nico et cherchent à les envoyer ad patres par tous
les moyens ;
- Dans The Omega Stone (2003), la préparation d'une potion
dans le site celte risque tout droit de vous conduire à une carbonisation
définitive ;
- Dans Egypte III (2004), le duel avec un cobra risque de ne pas
tourner à votre avantage ;
- Dans Aura (2004), un coup de sagaie vous coûte la vie.
Le monde mystien n'est pas non plus épargné : voici ce
qu'en dit axolotl (AAC & Jeuxvideo.com) à propos de Myst IV
Révélation :
Techniquement, on pourrait dire que c'est une "première"
pour Myst, bien sûr, mais pas vraiment dans le principe : dans Myst,
si on fait un mauvais choix à la fin, on se retrouve prisonnier
du livre, et celui des deux frères auquel on a donné la
préférence le brûle. On ne meurt peut-être pas,
mais ça y ressemble beaucoup. La fin de Myst IV est très
analogue : un mauvais choix conduit à une fin fatale. Et dans Myst,
si on rejoint Atrus sans le papier nécessaire, on est condamné
à rester avec lui : on meurt d'ennui, Atrus étant assez
rasoir ; dans Riven, quand Ghen nous tend le livre, si on le refuse, on
est fichu aussi. Là encore, un mauvais choix appelle une mauvaise
fin !
Donc, en fin de compte, c'est très Mystien, après tout !
La mort cependant ne conduit pas toujours au même endroit du jeu
et tous les cas de figures sont possibles entre ces deux extrêmes
que sont Shadow of Memories (2003), conçu sous forme de chapitres
à l'intérieur desquels on ne peut pas sauvegarder, ce qui
signifie que si l'on meurt (séquences chronométrées),
on est reconduit au début du chapitre, et Aura qui vous ramène
automatiquement juste à l'endroit où vous étiez avant
la mauvaise occurrence, ce qui pourrait donner à entendre que sur
ce jeu - comme hélas sur beaucoup d'autres - la mort n'est pas
une fatalité. La plupart du temps, cependant le recours à
la précédente sauvegarde est le moyen le plus utilisé.
Encore faut-il que le jeu vous en propose en nombre suffisant !
Cet exposé serait incomplet si je ne parlais pas des deux types
de mort auxquels le joueur d'aventures s'expose :
- les combats qui bien que rares sont très spécifiques à
certaines séries dont ils marquent la plupart du temps le final
;
- les séquences chronométrées, plus répandues
mais auxquelles les amateurs du genre sont tout aussi hostiles.
En conclusion, la question demeure : la mort dans le jeu d'aventure est-elle
ou non une pratique indispensable ? Ma réponse sera une réponse
de normand : ça dépend ! Ça dépend du jeu
et de son scénario :
Si le jeu se veut aventure réaliste comme le sont les Chevaliers
de Baphomet ou les Gabriel Knight confrontés fort souvent à
des sociétés secrètes et machiavéliques, si
le jeu se veut découverte d'une planète ou d'une civilisation
dont on ne sait si elle est hostile ou non, si encore le héros
est à la poursuite d'un meurtrier qui ne recule devant rien
alors le réalisme veut que l'une des issues soit la plus définitive
possible ; dans de nombreux autres cas, cette pratique est loin d'être
indispensable. Alors, messieurs les concepteurs, dispensez-en nous !
Reardon, 28 octobre 2004
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