Je continue la traduction en français de mon Making Of de Catyph :
Comme tous les jeux, Catyph passe par plusieurs étapes avant d'être disponible en version jouable. J'ai classé ces étapes en 4 grandes catégories :
- - pré-production
- production
- post-production
- sortie
Ces termes, et en particulier "post-production", sont plus généralement utilisés dans l'industrie du film. C'est principalement lié au fait que je n'étais pas originellement versé dans le développement de jeux vidéos (auparavant je travaillais dans la 3D pour le web, et je faisais des courts-métrages d'animation).
J'ai donc voulu tirer profit de cette expérience du film et de l'animation en conservant une approche cinématographique pendant le développement de Catyph. Attention quand même : tout ce qui est décrit ci-dessous s'applique à Catyph et éventuellement aux point&clicks en général, mais pourrait ne pas fonctionner sur d'autres types de jeux. Je préfère le préciser !
Voici comment j'interprète les 4 termes ci-dessus :
1. Pré-Production
Le processus de pré-production est l'étape pendant laquelle vous réfléchissez à l'ensemble du projet, rassemblez des idées, y mettez de l'ordre, et réalisez les premiers croquis préparatoires.
Dans le cas de Catyph, la plus grande partie de ce processus de création a été faite pour le court-métrage (voir vidéo dans la présentation ci-dessus). Ce film d'animation de 10 minutes introduit le personnage principal, des idées sur le monde du futur jeu et son univers (les planètes Terra et Catyph), et les grandes lignes de l'histoire (la Matière Bleue, l’alunissage sur Tytaah...).
Autrement dit, le simple fait de produire un court-métrage d'animation préquelle du jeu (et future cinématique d'intro) m'a permis de composer un univers cohérent et des ressources graphiques directement exploitables dans le jeu.
Je discerne deux sous-étapes principales dans cette étape de pré-production :
- L'aspect visuel
La direction artistique définira les graphismes du jeu (réaliste, cartoon, cell-shading, manga, 2D, 3D...). Comme expliqué plus tôt, le fait d'avoir pu créer un court-métrage au préalable était un bon point de départ, parce que je savais déjà où me diriger en termes de designs, d'environnements, de couleurs et de technique (logiciels, méthode...)
- Les idées/concepts
Cette deuxième sous-étape est cruciale, et on s'aventure au-delà de la simple touche visuelle. Ce qui a été fait dans le court-métrage déjà évoqué ne représente plus qu'une infime partie du projet entier, et il va falloir anticiper tout ce qu'il se passe ensuite. C'est donc le moment de réfléchir au level design, aux énigmes principales qui vont ponctuer le cheminement du joueur, à la façon de traverser ce monde étrange (linéaire ou non, embranchements, rebondissements scénaristiques...). J'ai donc commencé par définir un certain nombre de grandes zones assez générales, chacune d'elle ayant un but principal pour le joueur. Il est utile de faire ce premier découpage du futur jeu sur un papier, afin de savoir en gros comment le scénario impactera sur ces régions (ou vice-versa !).
Les idées et les énigmes principales peuvent être encore flous à cette étape, et dans mon cas ce n'étaient que des crayonnés rapides jetés sur une feuille de papier. La plupart du temps, je garde de bonnes idées en tête pour la suite, et je ne dessine que la base des futurs déplacements du joueur. Tout cela est ensuite développé au fur à mesure pendant la production des graphismes et l'inspiration du moment !
Dans ce schéma grossier réalisé au tout début du projet, je savais déjà qu'un dôme central permettrait de rejoindre les autres régions de la lune de Catyph.
L'étape de pré-production va bien sûr plus loin : on dessine généralement plusieurs versions des personnages principaux, on cherche des références pour les décors (photos, dessins...), et on se documente autant que possible sur le genre de jeu que l'on tente de produire. Il est assez difficile de revenir en détail sur tous ces éléments, car bien souvent on cherche des idées en vrac et on ne garde que l'essentiel. On passe plus de temps sur les moteurs de recherche ou avec un papier que sur le jeu en lui-même. Je présenterai quand même les grandes lignes de la pré-production dans un chapitre dédié (la prochaine fois).
2. Production
Si vous reprenez mes 4 étapes principales (voir plus haut), après la pré-production vient logiquement la production. Ce que j'appelle "Production" devrait sans doute s'appeler plus bêtement "développement". Ici on touche au cœur du jeu, c'est le processus qui lui permet de naître concrètement, et c'est généralement l'étape la plus longue, la plus difficile, mais aussi la plus passionnante.
Cette étape, dans le cas d'un Myst-like en 3D pré-calculée, inclut les sous-étapes suivantes :
- - personnages : modélisation, textures, "rigging"...
- décors : modélisation, textures, éclairage, paramétrage du rendu
- animation
- rendu
- compositing, montage
- export/conversions pour compatibilité avec le moteur de jeu
- programmation : scripts, énigmes, mise en forme...
Si vous vous demandez ce que des termes comme "compositing" font là-dedans (où ce dont ils s'agit), nous y reviendrons en détail dans le futur chapitre dédié. Je rappelle que cela s'applique à un projet de Myst-like en 3D pré-calculée, ce qui a toute son importance dans ce processus de production. J'espère que vous comprendrez pourquoi en lisant les prochaines parties.
Cette image d'ASA résume 3 grandes parties du processus de production d'un décor : modélisation, textures/rendu, et compositing :
3. Post-Production
Je ne suis pas certain du meilleur nom à donner à cette étape. L'idée principale est de compléter/terminer la production en travaillant sur les éléments qui n'ont pas pu être pris en compte avant. En général je passe surtout du temps à jouer et rejouer à la version "alpha" du jeu pour chercher les bugs, et décider des éventuelles améliorations à prévoir. Mais la post-production, c'est bien plus que corriger les problèmes et ajouter quelques bonus ici et là. C'est surtout un moment important où je travaille sur la correction des textes, les traductions, la finalisation de l'audio. A noter que je n'ai pas créé la musique moi-même, ce qui explique sa présence ici plutôt qu'en production.
En fait, tout ce qui se passe après les graphismes et la programmation vient dans cette catégorie.
- - correction des textes
- localisation
- ajustements musicaux
- bruitages
- voix
- effets visuels supplémentaires
- partage/beta-test
- correction de bugs
- communication en amont
...
Lorsque le jeu contient beaucoup de textes (scénario développé, journal...), l'étape de correction est cruciale :
4. Sortie
La sortie/vente du jeu est une étape très importante car, contrairement à ce que l'on peut penser, il ne suffit pas de télécharger son jeu sur Steam pour le vendre : tout cela se prépare longuement (et en fait, cela se fait depuis le début, en communiquant auprès des joueurs). En effet, selon qu'un jeu est connu ou non, apprécié ou non, ou que son développeur est plus ou moins suivi, tous ces paramètres vont influencer la sortie du jeu et agir directement sur son succès ou son échec. Il est donc très important d'anticiper très tôt cette étape finale. On pourrait parler d'étape parallèle, tant elle est liée aux autres et cruciales pour la réussite du projet.
Il y a de nombreuses questions à se poser, et parfois inattendues. Par exemple si on souhaite une sortie DVD ou sur clé USB dans le commerce (pourquoi pas ?), cela peut devenir un argument fort auprès du public et intégrer la stratégie marketing. Dans ce cas-là, dois-je trouver un éditeur pour m'aider ? Ou dois-je me concentrer uniquement sur les sorties dématérialisées ? Peu importe ce que vous pensez en lisant ces lignes sur le dématérialisé ou la sortie physique, ce n'est que l'un des nombreux points à anticiper : les développeurs se posent généralement des questions de ce genre. Certains balayeront très vite l'idée d'une sortie physique, alors que d'autres y réfléchiront longuement. Une version DVD auto-éditée peut devenir une solution (c'est ce que j'ai fait avec ASA) : sans faire partie intégrante des ventes (seules les ventes Steam ont réellement un intérêt dans mon cas), c'est surtout un moyen de faire un geste auprès des plus grands fans du jeu en leur envoyant un objet réel, une façon de les remercier pour leur soutien.
Lorsqu'un développeur indé peut être soutenu par un éditeur (vous savez que c'est souvent le cas, même si cela va plus ou moins, à première vue, à l'encontre de l'esprit indépendant), ils peuvent avoir ensemble la possibilité de faire plus de vente en touchant un public plus large, ou différent de celui envisagé au départ. Pour ce genre de service, l'éditeur va bien sûr prélever une partie des ventes pour se rémunérer, de l'ordre de 30 à 70% selon les jeux et les éditeurs (et leur implication). Cela doit bien sûr être pris en considération : s'il est vrai que 50% est énorme (lorsque l'on considère qu'un développeur indé travaille en petite équipe avec un budget souvent moindre), d'un autre côté, la force d'un éditeur peut carrément faire changer la balance et justifier un tel sacrifice.
Il ne faut pas oublier que par ailleurs, Steam (et bien d'autres) prend 30% des revenus à la source, à quoi il faut ajouter les taxes (cotisations sociales, retraites, impôt sur le revenu...) qui atteignent en moyenne 20% en France pour un auto-entrepreneur. Le revenu net perçu par le développeur est alors bien plus bas que les ventes réelles, de l'ordre d'un tiers/quart du chiffre initial (
on en parlait sur IndieMag !).
Notez que ce ne sont que des pistes de réflexion, qui ne reflètent pas forcément la réalité pour tous, car il y a bien des façons de concevoir la sortie de son jeu et la stratégie de distribution. Steam à lui seul offre de nombreuses possibilités pour faire connaître un projet, de Greenlight à l'accès anticipé, en passant par la Beta publique. On peut aussi miser sur une campagne de financement de type Kickstarter pour trouver un public et s'assurer très tôt que le jeu est potentiellement intéressant à ses yeux. Les solutions ne manquent pas, et ce sont les développeurs eux-mêmes qui doivent les trouver. Ce n'est en revanche pas quelque chose de facile, il faut consacrer beaucoup de temps à la presse et aux joueurs sur les réseaux sociaux et par courriel. Il n'est pas évident d'attirer l'attention et de convaincre que notre jeu est bon et mérite que l'on y passe du temps !
Mon premier jeu ASA a été greenlighté près d'un an et demi après que je l'aie mis sur Steam. Je dois admettre que je n'avais plus vraiment d'espoir que cela arrive un jour, et j'étais passé à autre chose. C'est pour cela que la version HD Remastered a vu le jour si tard (en 2015) sur Steam, soit 2 ans après la sortie du jeu original en janvier 2013 sur Desura. Et pour conclure ce long paragraphe, il est intéressant de noter que malgré un accueil très chaleureux d'ASA (tests très positifs en général), les ventes ont été relativement mauvaises et ne me permettent pas de vivre du développement de jeux à temps plein. Cela fait réfléchir, et j'ai bien envie de faire mieux avec Catyph !
A la semaine prochaine sans doute, pour parler plus précisément de l'étape de pré-production !